Pendant les dix premières années, les habitants de Nahalal ont assuré leur sécurité par leurs propres moyens. L’armement à la disposition, en quantité réduite, des quelques habitants demeurait leur propriété privée et était caché dans leurs maisons. Rares sont ceux qui obtenaient de l’autorité mandataire le droit de posséder une arme; un pistolet pour l’un, un fusil de chasse pour l’autre. Ils organisaient eux-mêmes les gardes et, si nécessaire, ils se faisaient aider par les policiers du commissariat de police situé dans les environs du village, parmi lesquels on comptait des arabes et des bédouins. Nahalal fut épargné par les pogromes de 1929 et les bonnes relations avec les arabes voisins se maintinrent.
Mais au début des années 30, il devient évident que le projet sioniste fait face à une opposition violente et mieux organisée par des agitateurs palestiniens nationalistes. Dans la nuit du 22 décembre 1932, la violence rattrape Nahalal Une bombe est lancée sur l’une des baraques. Le père de famille et son garçon de huit ans sont tués. Ce sont les premières victimes mais pas les dernières de Nahalal, dans un conflit sanglant toujours en cours entre juifs et arabes. L’enquête de police met en évidence qu’il s’agit d’un épisode de la série d’actions violentes menées par un groupe palestinien dirigé par un meneur musulman charismatique dénommé Izz al-Din al-Qassam. C’est un religieux qui prêche, au nom de l’Islam et du nationalisme arabe, la guerre contre l’entreprise sioniste et son alliée la puissance britannique. Il a du se réfugier dans les zones montagneuses pour poursuivre son combat. Izz al-Din al-Qassam sera tué en 1935 lors d’une escarmouche avec les forces britanniques et deviendra plus tard l’une des figures proéminentes de la branche islamique du mouvement national palestinien.
En raison de l’augmentation de la tension, Nahalal décide de rejoindre la Haganah. Les institutions sionistes s’en tiennent alors à une politique de la retenue. Au cours de cette phase embryonnaire du conflit, la tentation de la vengeance est grande mais les dirigeants souhaitent réduire les frictions et prévenir l’extension de la violence. Cette politique de la retenue menée par la direction sioniste est en opposition avec l’approche de l’organisation armée nationale (Etzel ou Irgoun). L’Irgoun, née en 1931 d’une scission de la Haganah, lance des opérations de vengeance qui touchent les arabes impliqués dans les actions hostiles et d’autres qui ne le sont pas.
Moshé Dayan qui aura bientôt 20 ans, soutient la politique de la retenue et continue à éprouver de l’empathie pour ses voisins arabes. Lors de l’une de ses conférences il racontera : « Dans ma jeunesse je me baladais souvent avec mon père, qu’il repose en paix, dans la vallée d’Izré’el et nous rencontrions des arabes. En hiver, les arabes recouvraient leur visage avec un Keffieh et seuls leur nez et leurs yeux restaient découverts. Mon père qui n’était pas un enfant du pays me disait : « Regarde, des regards d’assassins ! ». En fait ces arabes n’étaient pas des assassins. C’était de simples fellahs; et comme il faisait froid, on ne voyait que leurs yeux noirs et étincelants que je trouvais beaux.
La violence des palestiniens n’atténue pas l’empathie que Dayan ressent depuis son enfance pour le paysan palestinien et le berger bédouin. A présent il comprend qu’ils peuvent être animés de sentiments nationalistes et il se représente les combattants d’Izz al-Din al-Qassam comme des héros et des idéalistes qui se battent pour des motivations nationalistes. A la suite de l’assassinat survenu à Nahalal, Moshé décide de se mener sa propre enquête et malgré le danger de la situation, il se rend à deux reprises dans le grand village arabe de Séphourieh auquel conduisaient les traces laissés par les lanceurs de la bombe de Nahalal.Il s’entretient avec les chefs du village et fait part de ses constatations au service de renseignement de la Haganah. Ainsi il racontera : « Mes relations avec nos voisins arabes étaient positives. J’aimais leur façon de vivre, leurs valeurs par rapport au travail, leur ancrage terrien. L’épisode « Izz al-Din al-Qassam » mit en lumière l’abîme nationaliste, religieux et sentimental qui séparent le sionisme et les arabes. »
En 1930, suite à la participation du moshav à la Haganah, le commandement de celle-ci décide de fournir à Nahalal de l’armement qu’il faut dissimuler dans des caches secrètes, les « Sliquim« . Puis les personnes arrivent à Nahalal pour entrainer ses habitants, et en particulier ses jeunes, au maniement des armes et à des exercices en extérieur. Un groupe de gardiens s’organise au sein du moshav. Bien que Moshé soit encore jeune, il se joint au groupe, probablement en raison de son courage, déjà connu de tous. Dès son enfance, Moshé a appris à manier la carabine de son père. Dès l’âge de 10 ans, son père l’avait autorisé à nettoyer sa carabine et à tirer sur des cibles. Lors de ses déplacements à cheval dans les champs entourant le moshav, on le laisse porter le fusil de chasse de son oncle Éliahou. Au sein du groupe de la Haganah on lui enseigne le maniement du pistolet et les règles basiques du comportement militaire sur le terrain. La Haganah organise aussi des cours au niveau national et régional sur des spécialités militaires variées.
Durant l’été 1933, Moshé est autorisé à suivre un cours de transmission accéléré qui se déroule secrètement dans l’un des kibboutz de la vallée de l’Emeq. Les instructeurs enseignent le morse et l’utilisation de toutes sortes de moyens de transmission, comme la signalisation au moyen de pavillons avec un système de sémaphores, l’envoi de messages par héliographe codés en morse (constitué de miroirs convexes réfléchissant les rayons lumineux). De retour de ce cours, Moshé organise un cours de transmission où il enseigne comment rester en raison avec les villages aux alentours à partir du chateau d’eau du moshav. Dayan s’est engagé à garder le secret absolu, même à l’égard de ses camarades, sur ces activités. Ce secret qui l’entoure ajoute à son personnage une dimension de mystères qui attise la curiosité des adolescentes de l’école. En fait Moshé vient de terminer le cycle de ses études sans pour autant stopper ses relations avec les filles.
Dayan ne se satisfait pas des deux années d’études à l’école de ‘Hana Meizel. Il espère compléter ses études, se présenter au baccalauréat organisé par les autorités britanniques et pouvoir un jour, comme sa mère à son époque, suivre des études universitaires. Etudier en dehors des murs de l’école suppose de partir pour une grande ville. Bien que cela impose à sa mère une charge supplémentaire, Moshé, accompagné de quelques camarades, part pour Tel-Aviv, où il compte travailler dans le bâtiment durant ses heures libres et étudier dans un établissement de formation complémentaire pour adultes les mathématiques, la littérature, l’histoire et bien entendu l’anglais. À cette époque, Tel-Aviv est le centre de la culture hébraïque en plein développement. C’est là que Moshé et ses compagnons s’ouvrent au théâtre, aux concerts et mènent une vie de bohème.
Qu’une famille de Nahalal reçoive une aide matérielle grâce à un ouvrier salarié n’est pas nouveau en soi mais c’est en opposition totale avec l’un des principes fondamentaux du moshav : le travail individuel. Malgré la critique adressée à la famille, Dvora soutient la volonté d’étudier de son fils. L’été venu, les jeunes hommes reviendront à la maison pour les moissons et les vendanges.
Au cours de l’été 1934, a l’issue de la saison à la ferme, Moshé part avec deux camarades pour une randonnée hardie le long du Jourdain et dans le Néguev. Les jeunes de Nahalal ont l’habitude d’entreprendre des randonnées de ce genre entre la saison des moissons et celle des labours et de l’ensemencement. Ils parcourent de longues distances autour du lac de Tibériade, jusqu’au sommet du Hermon mais sans jamais s’aventurer plus au sud que Betshéan, car au delà il n’y a plus vraiment de villages juifs avant l’usine de potasse située à l’extrémité nord de la Mer Morte. Cette bande de terre sur laquelle vivent principalement des tribus bédouines est dangereuse. Mais pour Moshé, alors âgé de 19 ans, il faut oser aller plus loin. Les responsables de la sécurité du moshav lui demandent ainsi qu’à ses camarades de ne pas se mettre en danger, mais Moshé considère qu’il est suffisamment adulte pour décider par lui-même d’entamer son long périple.
À partir de Betshéan, les trois marchent à pied le long de la rive du Jourdain en direction de Jéricho. Aucun des trois ne possède de carte topographique détaillée. Ils se retrouvent par hasard au coeur de la nuit dans un campement bédouin. Les aboiements de chiens réveillent les habitants et il s’avère rapidement qu’il s’agit du campement de l’émir Diab, l’un des chefs des grandes tribus bédouines de la vallée du Jourdain. Il apparaît très impressionné par leur courage et par l’arabe galiléen avec lequel ils s’expriment. Ils sont reçus dans la tente du Cheik pour la nuit et sont invités à un dîner princier. L’émir désigne l’un de ses hommes pour les accompagner jusqu’à Jéricho.
Ils aboutissent ensuite à l’usine de potasse. Ils ont l’intention de poursuivre plus au sud le long de la rive orientale de la Mer Morte mais le commandant local de la Haganah le leur interdit et les expédie à Jérusalem. De Jérusalem et en dépit des avertissements, ils prennent la route du sud. Ils s’attardent quelques heures à Hébron, là-même ou cinq ans plus tôt les arabes ont massacrés les juifs. Ils visitent les tombeaux des patriarches, mais ils ne peuvent voir leurs cénotaphes car les juifs ont l’interdiction de grimper vers la mosquée au delà des sept premières marches. De là ils prennent un taxi direction Beershéva où ils les hôtes d’un juif qui habite en ville et qui est le délégué dur KKL, en charge de l’acquisition de terres.
Le lendemain ils partent pour Gaza. Moshé et ses camarades suscitent la colère d’un policier arabe parce qu’ils s’obstinent à lui parler hébreu et exigent qu’on les présentent à quelqu’un qui comprenne la langue des juifs qui est l’une des trois langues officielles de Palestine. Le policier arabe soupçonne que les jeunes gens qu’il a interpelé parlent l’arabe et exige qu’ils lui répondent dans la langue de la terre, qui selon lui, appartient aux arabes. Seule l’intervention d’un politicien britannique parlant hébreu permet d’éviter un drame. Les randonneurs sont expédiés par bus jusqu’à Jaffa et delà ils rejoignent la ville juive à pied.
À cette étape de sa vie, Dayan qui est un lecteur invétéré de la presse quotidienne, mesure déjà très bien la puissance de la communication. Il comprend que ce dangereux et hardi voyage qu’ils viennent d’accomplir, lui et ses compagnons, mérite d’être connu du public. Dès son arrivée à Tel-Aviv, le groupe se rend à la rédaction de Davar, le journal ouvrier à grand tirage afin de raconter ce qu’il a vécu. L’article qui parait dans l’édition du lendemain insiste sur le courage et la fierté nationale manifestés par les jeunes insistant sur leur droit à s’exprimer en hébreu. Le journal est lu par tous les habitants de Nahalal et quand le lendemain, les trois jeunes arrivent à la maison, l’histoire de leur héroïsme est déjà largement connue. Dayan, chef du groupe, trace pour lui-même un chemin pavé de louanges. Pour lui, cette randonnée est une façon de délimiter les frontières, l’identité et la propriété de ce qu’il considère comme sa patrie, même si dans les années 50s et 60s, il acceptera avec quelques grincements de dents la politique de Ben Gourion alors résigné au partage de la Palestine. De son point de vue la patrie s’étend sur tout le territoire que ses pieds ont foulé depuis son enfance, des rives du Jourdain à la Méditerranée.
Rapidement sa gloire atteint des sommets lorsqu’il a l’occasion de prouver son courage à l’occasion d’un vrai combat. Les relations entre les jeunes de Nahalal et les membres de la tribu bédouine voisines sont fréquentes et même amicales. Néanmoins une crise éclate à la fin de l’année 1934 qui se termine en grosse bagarre. A la lisière du terrain acheté par les organisations sionistes pour les habitants de Nahalal passe une rivière dont les rives, dès les premières pluies, se recouvrent de pâturages verdoyants. Les bédouins avaient l’habitude de d’y faire paître leur menu bétail depuis des générations. Dans les premières années les habitants de Nahalal n’exploitent pas vraiment cette zone. En 1934, ils souhaitent y exercer leur droit de propriété. Ils décident de la labourer et d’y cultiver du riz et de l’orge. Les bédouins affirment que depuis longtemps ils ont acquis le droit de faire paître leurs troupeaux près de la rivière en hiver. Afin d’exécuter le labour le plus rapidement possible, on mobilise la plupart des jeunes du moshav. Les bédouins mobilisent également leurs jeunes; la rixe est inévitable. Moshé Dayan s’est préparé pour l’ensemencement. Il enjambe les sillons tout frais, disperse les graines d’un mouvement de main naturel, sans reculer face à la pluie de pierres que les jeunes bédouins, qu’il connait pour la plupart personnellement, lui envoient. La bagarre se déclenche quand il atteint leur ligne et l’un des bédouins le frappe à la tête avec un gros gourdin. Moshé s’évanouit et de sa blessure béante et profonde s’écoule beaucoup de sang. Il est transporté dans la maison de ses parents et couché dans sa chambre. Pendant ce temps la police est arrivée et a mis fin à la bagarre.
Le courage de Dayan et le récit de sa blessure sont sur toutes les lèvres. Ce récit est repris par la presse quotidienne. Pendant plusieurs jours celle-ci continue à traiter de la rixe avec des formulations patriotes et véhémentes, condamnant la méchanceté et la sauvagerie des arabes. Dayan n’aime pas ces expressions. Il comprend qu’il ne s’agit pas d’un déchainement nationaliste mais d’une bagarre caractéristique de la querelle traditionnelle entre les agricultures et les éleveurs, opposition dont les origines remontent à l’histoire de Caïn et Abel. De telles altercations éclatent régulièrement même entre les bédouins et les fellahs arabes. Bien plus tard, à propos de cet incident, il dire : « Il était clair à mes yeux que nous voulions, eux et nous, la même chose. Cela ne les rendait pas plus mauvais pour autant. »
Au printemps 1936, dans toute la Palestine éclate la grande révolte arabe. Les relations entre arabes et juifs deviennent beaucoup plus violentes et se déplacent sur le champ politique. Au début des années 30, l’immigration juive dans le pays augmente de manière sensible. En l’espace d’une dizaine d’année, la population juive double et, bien qu’elle soit minoritaire, il devient évident que le projet sioniste en Palestine progresse et se consolide. Ce développement éveille au sein de la population arabe palestinienne une conscience nationale et la crainte de la perte de sa position dans le pays.
Sous la conduite du mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, et animé par le souvenir de l’image d’Izz al-Din al-Qassam, des émeutes sanglantes éclatent au mois d’avril, dans la zone séparant Jaffa et Tel-Aviv. Des juifs présents pour affaires dans la ville arabe sont assassinés par une foule arabe en colère et des habitants juifs limitrophes s’enfuient. Le mufti crée le haut conseil arabe, organisme chargé de représenter les arabes de Palestine et proclame la grève générale du secteur arabe. La violence s’étend rapidement à l’ensemble du pays. Pendant 3 ans, de 1936 à 1939, le pays connait une révolte arabe à grande échelle. Le combat est mené simultanément contre les juifs et contre les autorités britanniques. Environ 800 juifs seront tués au cours de ces affrontements incessants. On ne connait pas le nombre d’arabes tués pendant ces évènements mais on l’estime à plusieurs milliers. De nombreux anglais périront également. Finalement la révolté sera matée par l’armée britannique mais les arabes auront obtenu un succès politique important : le gouvernement britannique décide de réduire puis à terme de stopper totalement l’immigration juive dans le pays et de limiter l’acquisition de nouveaux terrains par les juifs. Pour Moshé Dayan, dont les aptitudes militaires sont déjà reconnues, ces années-là seront celle de sa transformation en véritable soldat et sa progression rapide sur la voie du commandement des forces juives qui se renforcent d’année en année.
Quand la révolte arabe éclate en 1936, Moshé Dayan est déjà marié. En septembre 1934, arrive à l’école de ‘Hana Meizel, une nouvelle promotion d’élèves, et parmi celles-ci une jolie fille de Jérusalem dénommée Ruth Schwartz. Ses parents appartiennent à l’élite juive de la ville et sont des familiers du leadership sioniste et des cercles dirigeants britanniques. Son père, Tsvi, est un juriste ayant occupé plusieurs fonctions au sein de l’appareil sioniste. Sa mère, Ra’hel, est éducatrice de formation, très active publiquement. Ils animent dans leur maison un salon mondain où se côtoient des responsables britanniques de premier plan, des leaders sionistes, des écrivains et des peintres juifs et même des arabes issus de l’aristocratie palestinienne. De 2 à 9 ans, Ruth séjourne à Londres où ses parents sont étudiants. Elle maîtrise la langue et la littérature anglaises. Alors que Moshé est en fin de compte un jeune assez provincial, Ruth appartient au grand monde.
Ce ne sera pas la seule différence entre les deux membres du couple. Ruth fut l’une des fondatrice du mouvement « Ma’hanot Ha’Olim » à Jérusalem. Elle aspirait très fortement à l’atteinte de ses idéaux par le biais de la solution du kibboutz. Moshé se moquait de ses rêves, s’opposant à ce mouvement de jeunesse, préférant le moshav au kibboutz. Et malgré cela Moshé est ensorcelé par Ruth. Ses amis de cette époque se souviennent : « Ruth était merveilleuse, magnifique, charmante, gracieuse, pleine de vie, sociable, aimable, énergique, intelligente. Elle nous impressionnait tous. Moshé se laissa capturer par elle, comme nous tous, plus que nous tous. »
Peu de temps après son arrivée à Nahalal, les deux forment déjà un couple. Tout commence lorsque Ruth accepte d’enseigner l’anglais à Moshé. Un camarade se souvient: « Ruth était suspendue à Moshé comme la grappe de raisins à la vigne. » Lorsque Moshé est blessé au cours de la bagarre avec les bédouins, Ruth reste assise à son chevet. Elle dira plus tard : « C’était la première fois que j’éprouvais un sentiment d’impuissance devant les conséquences d’une blessure. » Cela lui arrivera encore plusieurs fois par la suite. Elle l’accompagne lors de son départ pour une maison de convalescence proche de Jérusalem et en profite pour le présenter à ses parents. Le couple célèbre ses fiançailles le 12 juillet 1935 à Nahalal. Ruth a 18 ans et Moshé 20 ans.
Le mariage se déroule dans la cour des Dayan sous le noyer géant planté 15 ans auparavant. Parmi les invités on compte de nombreux représentants du leadership sioniste, tous les habitants de Nahalal et des membres de la tribu bédouine qui six mois auparavant avaient ouvert le crâne de Moshé. Au début ils avaient hésité à venir, mais Moshé leur avait envoyé l’un de ses bergers pour les inviter et après en avoir débattu au sein du conseil de la tribu, ils avaient de venir nombreux. Moussa, comme ils l’appelaient en arabe, était déjà à leurs yeux un héros. Dans la plus parfaite tradition bédouine ils dansent, jouent de la flute et du tambour, galopent à cheval et tirent dans les airs. En signe de réconciliation, Moshé sert la main du jeune qui l’a blessé lors de la bagarre.
Les parents de Ruth, très aisés, estiment que leur gendre a besoin de se cultiver. En guise de cadeau de mariage, ils offrent au jeune couple des billets pour l’Angleterre et un budget mensuel afin de leur permettre d’y étudier. Shmuel Dayan s’oppose à ce voyage. Selon sa conception conservatrice, un paysan sioniste n’a pas besoin d’un niveau de culture élevée et l’hébreu est absolument suffisant pour un nouveau juif suivant les traces de ses ancêtres. Mais Moshé ne tient plus compte de ses avis. Il a soif de connaissances et il se réjouit de pouvoir améliorer sa maîtrise de l’anglais. Ils embarquent en troisième classe à bord d’un navire à destination de Marseille, passent quelques jours à Paris puis arrivent à Londres.
L’intention première est que Moshé étudie l’anglais au cours des deux mois précédant le début de l’année scolaire, qu’il se présente aux examens du baccalauréat britannique et qu’il tente d’être admis pour des études agronomiques dans une université. La soeur du pro-sioniste Lord Melchett, invite le couple à séjourner dans sa propriété proche d’Oxford et lui facilite l’accès à des cours dans un des collèges de la prestigieuse université.
Le docteur ‘Haïm Weizmann, président de l’organisation sioniste mondiale, convainc le professeur Harold Laski d’accueillir Moshé à des cours de la London School of Economics. Le couple loue un chambre dans le quartier de Swiss Cottage. Ruth suit des cours particuliers d’hébreu et Moshé des cours particuliers d’anglais. Ruth se souviendra de ces premiers jours : « Assurément nous donnions l’image d’un couple extravagant. Nous nous obstinions à chausser des sandales malgré l’hiver européen; Moshé refusait de porter une cravate et je m’interdisais de m’habiller avec les robes que ma mère m’avait achetées dans les magasins les plus chics de Jérusalem.
Ne nouveaux horizons semblent se présenter à Moshé mais les choses ne se déroulent pas bien. Il se met à détester Londrès dès le premier jour. Ruth racontera : « Il voulait rentrer immédiatement à la maison. L’usage de l’anglais ne lui venait pas facilement, il soufrait du smog anglais, il ne supportait pas l’obligation de porter un costume pour paraître dans la bonne société et il se sentait étranger. » Par ailleurs les lettres en provenance de la maison l’accablent. La situation de la ferme familiale est médiocre et des évènements sanglants éclatent en Palestine. L’inquiétude et la nostalgie le gagnent. Il a commencé à suivre plusieurs cours à la London School of Economics et il a même été admis à des cours à Cambridge pour le reste de ses études, mais au bout de six mois il décide de rentrer au pays ; le voyage est un échec. Plus tard Dayan avouera : « Être en dehors d’Israël me pesait… l’anglais que j’apprenais me permettait de papoter. Je ne tirais rien de mes cours à la faculté d’économie. Les cours auxquels je participais ne m’intéressaient pas particulièrement… Ma présence à Londres ne produisait rien de bon. Je retournais à la ferme. Je voulais vraiment étudier mais cela n’a pas marché. »