8 juin 1941

L’invasion du Liban débute le 8 juin. La compagnie de Dayan, appuyée de quelques soldats australiens s’est mise en mouvement la veille, afin de mener à bien trois missions : 1) La coupure de la ligne téléphonique le long de la cote, depuis la frontière jusqu’à la ville de Tyr ; 2) La fermeture de la route 5 km de la frontière ; 3) La coupure des lignes téléphoniques entre la partie occidentale et la partis orientale du Sud-Liban. Les deux premières missions sont exécutées avec succès et ans perte. Au cours de la troisième mission, la plus difficile car à 20 km de la frontière, Dayan va passer un prix douloureux qui va impacter toute sa vie.

Dayan dans les années 30s
Dayan dans les années 30s

Dayan et quatre de ses hommes se joignent à trois officiers et sept soldats australiens, sous le commandement du Lieutenant Kipin. Le guide arabe Rashid les accompagne. Ils sont supposés occuper deux ponts sur la rivière Iskandron qui coupe la route côtière avant de se jeter dans la Méditerranée. L’objectif est d’empêcher la destruction des ponts et les sécuriser avant l’arrivée à l’aube du corps d’armée principal, qui doit monter vers le nord pour atteindre le centre du Liban. Parmi les homes de Moshé se trouve son ami Zalman Mart, comme lui un ancien commandant d’un pick-up de « Notrim. Plus tard il sera, sous les ordres de Dayan, commandant d’une compagnie à Jérusalem.

Pendant la marche d’approche Dayan se divertie, histoire probablement de dissimuler son émotion. Dans un rapport qu’il rédigera des années plus tard, il ne cachera pas sa fierté sur le fait que lui et ses hommes, combattants juifs de la Haganah, marchaient en tête de l’armée britannique qui envahissait le Liban. Il n’oubliera pas de mentionner que celui qui marchait en tête de tous était le guide arabe.

Bien que la mission de Moshé et de ses camarades se limite à conduire les australiens jusqu’à leur objectif, ils participent avec eux aux combats de toute la journée. Arrivés près des ponts, peu avant minuit, Moshé, Rashid et un officier australien se mettent à ramper et constatent que les ponts ne sont pas gardés et qu’ils n’ont pas été minés. Il n’y a donc rien d’autre à faire que d’attendre l’armée d’invasion, qui doit selon les plans, attendre les ponts avant les premières lueurs de l’aube. Comme à son habitude, chaque fois qu’il est contraint de patienter sur le champ de bataille sans rien avoir à faire, il descend sous le pont, se couche sur le dos et s’endort dans le lit de la rivière asséché en cette saison. Dayan ne compte pas au nombre des patients. Comme on le verra par la suite, l’inaction dans les situations de danger et de tensions, le stresse. C’est pourquoi il préfère somnoler jusqu’au temps venu de l’action.

Cependant son sommeil est de courte durée. L’aube arrivant, on commence à s’inquiéter d’un possible retard de l’armée d’invasion. On apprendra plus tard que les français qui se sont abstenus de miner les ponts, ont fait exploser plusieurs gués et ont miné la route en plusieurs points plus proches de la frontière. La force d’invasion a été obligée de ralentir sa progression le temps de surmonter ces obstacles. pendant ce temps le groupe du lieutenant Kipin reste à découvert sur le pont et sans protection. Il décide de rebrousser chemin de deux kilomètres en direction du sud et d’occuper un bâtiment qui sert de poste pour la police locale. Mais il ignore que les français y ont positionné leur commandement avancé.

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La blessure

Approchant du poste de police, les australiens et les hommes de Dayan essuient un tir nourri provenant de plantations aux alentours et de positions occupées par des renforts français sur le côté de la route, et dont la présence n’avait pas été signalée. Le combat s’engage. Dayan, paysan musclé, parvient à envoyer une grenade à 25 mètres de distance, et qui fait taire une mitrailleuse positionnée sur le toit du bâtiment. Aidé par son ami Zalman Mart, il monte à l’assaut couvert par les australiens et se rend maître du poste de police. Dans le bref rapport qu’il rédigera alors qu’il se trouve encore à l’hôpital, il écrira dans son style laconique habituel : « A 5 heures le bâtiment est pris au cours d’un assaut. Nous récupérons une mitrailleuse lourde et un mortier. Lors de la prise du bâtiment, quatre soldats ennemis sont tués et une dizaine sont faits prisonniers.

A présent les rôles sont inversés, les assiégeants deviennent les assiégés. Le groupe se barricade dans le poste de police et fixant sur place les renforts de l’armée française qui voulait se déplacer plus au sud. Les juifs qui grâce à leur entrainement à la Haganah connaissent toutes sortes d’armements, mettent en action sur le toit la mitrailleuse et le mortier. Là encore, Dayan n’attend pas après les ordres de Kipin. Il décide seul d’organiser la défense du site du haut du toit d’où il observe le champ de bataille à l’aide de jumelles qu’il a récupérées sur place.

Le toit n’est pas fortifié. Le parapet n’est pas suffisamment haut pour pouvoir se tenir à l’abris des regards. A 7h du matin, une balle frappe les jumelles de Dayan. Elles sont fracassées et son oeil gauche est blessé. Des débris ont aussi atteint des muscles des doigts de la main gauche qui tenait les jumelles. Zalman Mart est appelé sur le toit. Il panse le blessé et le fait descendre à l’aide d’un brancard improvisé jusqu’au rez-de-chaussée dans une partie protégée. Comme à l’accoutumée, Mart lui demande : « Moshé, qu’est-ce que tu en dis ? » Selon lui, Dayan qui a conservé sa lucidité lui répond : « J’ai perdu mon oeil mais si j’arrive rapidement à l’hôpital, je survivrai. »

L'article de Davar du 10 juin 1941 "Catastrophe pour Moshé Dayan"
L’article de Davar du 10 juin 1941 « Catastrophe pour Moshé Dayan »

Mart racontera que Dayan blessé resta allongé pendant six heures « comme un sac, ne demandant rien, ne posant aucune question, ne se plaignant pas, ne pleurant pas. Nous luis donnions de l’eau sans qu’il la réclame… Je l’ai admiré. » Dayan racontera brièvement comme à son habitude : « J’ai reçu une balle dans l’oeil. Je n’ai  pas perdu connaissance. On m’a secouru immédiatement, mais à partir de ce moment, je ne pouvais qu’entendre ce qui se passait. »

A 13h les premiers soldats de l’armée britannique d’invasion arrivent sur place. Moshé est évacué vers l’hôpital de ‘Haïfa. Pendant toutes ces heures, ses mains n’ont pas quitté celles de Rashid. Sa mission en tant que guide avait pris fin la nuit dernière mais il avait participé au combat comme les autres. Dayan le louera abondamment pour cela.

« Je dois signaler que l’un des soldats les plus sérieux par nous fut notre guide arabe. Il s’est parfaitement conduit, comme un combattant courageux et solidaire de ses camarades pendant l’opération. Lorsque nous approchions des ponts, il marchait en tête, avançant avec prudence et intelligence. A la rivière, dès qu’il apercevait un des français surgissant au milieu des arbres, il lui envoyait une balle qui souvent touchait son objectif. »

Avant le début des soins à l’hôpital, dayan confie à Mart : « Cela n’est rien. J’ai vécu 26 ans avec deux yeux. Ce n’est pas grave, on peut vivre aussi avec un seul oeil. » La rédaction du journal Davar estima que le nom de Dayan était suffisamment connu. Le lendemain, le journal publie la nouvelle avec ce titre : « Catastrophe pour Moshé Dayan » et on pouvait lire : « Moshé Dayan a été blessé lors d’une opération héroïque. » Ses compagnons australiens sont également impressionnés. l’un des officiers fait part à Ruth de sa considération lorsqu’ils se rencontrent au chevet de Moshé : « S’il y a quelque chose dans le domaine militaire que votre mari ignore, c’est que cela ne vaut pas la peine d’être connu. » L’hôpital Hadassah émet un communiqué où il est écrit :

Le communiqué de l'hôpital Hadassah du 8 juin 1941
Le communiqué de l’hôpital de Haïfa du 8 juin 1941 signé par le Dr. Rabinowitch

Nous confirmons que M. Moshé Dayana été admis dans notre hôpital le 8 juin 1941. L’examen a révélé qu’il a une blessure au côté intérieur de l’oeil gauche, provoquée par l’entrée d’un projectile qui n’est pas ressorti. Le projectile a été retiré avant son arrivée à l’hôpital. Le front a été ouvert et des os du nez ont été brisés. l’oeil gauche a été crevé. La radiographie a établi qu’il reste de nombreux fragments métalliques dans les os du visage. Il restera aveugle de l’œil gauche et aura besoin d’un long traitement pour les os brisés du nez. Par ailleurs trois doigts de la main gauche sont atteints. Deux d’entre eux nécessiteront des soins prolongés et il se peut qu’ils demeurent paralysés. »

 

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