Bien qu’il soit blessé et bien qu’il ait perdu un œil, Dayan revient de la bataille du pont de l’Iskandron avec une couronne de lauriers. Il pense que ce qui s’est passé ne doit pas stopper son élan vers le sommet de la Haganah. Cependant il apparaît rapidement que sa blessure est très difficile à soigner et qu’elle limite ses activités. Alors que d’autres camarades de sa génération gravissent toujours plus haut l’échelle du commandement de la Haganah, Dayan va rester sept ans sur la touche.
Pour l’heure Dayan ne peut pas reprendre ses activités de commandement sur le terrain, même la moindre mission d’instructeur. Après que ses blessures aient cicatrisées, la famille Dayan s’installe à Jerusalem, ville où l’on pourra soigner son œil de manière plus efficace. Ils habitent chez les parents de Ruth. Chaque jour Moshé se rend au mont Scopus où l’organisation des femmes américaines, Hadassah, a construit un hôpital moderne. Le projectile qui a brisé les jumelles a aussi brisé les os autour de l’œil et au sommet du nez. Dayan est opéré à plusieurs reprises pour réparer les os et lui permettre d’accepter un œil de verre. Mais les dommages subis sont trop importants et malgré toutes les tentatives entreprises à Jerusalem et dans bien d’autres endroits, Dayan est contraint d’accepter de porter un bandeau.
Dayan a besoin d’une longue période d’adaptation. Il a du mal à lire, il peine à faire converger son regard et souffre d’importants maux de tête dont il n’arrivera jamais à se débarrasser. C’est une période de profonde dépression. Plus tard il se souviendra : » Je me perdais dans de tristes méditations sur mon avenir. Une vie d’infirme sans métier et sans ressources. » Quand Ruth lui apprend pendant sa convalescence qu’elle est enceinte, il lui rétorque énervé : » Qui va s’intéresser à un homme ne possédant qu’un seul œil ? Je ne suis pas en mesure de faire vivre ma famille ; c’est impossible ! Nous ne pourrons pas accueillir un nouvel enfant. » Il est persuadé que sa carrière de commandant de l’armée juive qui avait si bien commencé, est terminée.
« Du point de vue de la Haganah j’étais devenu un invalide non opérationnel. J’avais le sentiment que je ne disposais plus d’aucune aptitude à l’action militaire et que je devais rechercher n’importe quel travail de jardin de nuit d’un immeuble ou un truc de ce genre. Cela me rongeait sans cesse. Sur le plan physique j’étais foutu, inapte à tout ce qui touchait au combat. »
Son bandeau noir qui le fait ressembler à un pirate et qui effraie les enfants le tourmentera de nombreuses années même quand il sera devenu un symbole
Pourtant il ne se passe que quelques mois avant que l’espoir ne renaisse. En dessous de l’appartement des parents de Ruth vit Reuven Zaslanski qui changera plus tard son nom en Shiloa’h et sera à la tête des services d’espionage d’Israël, le Mossad, dans les années 50. En 1941, Zaslanski dirige la section des affaires spéciales du département politique de l’Agence Juive. A ce poste, il a établi des relations avec des services des autorités britanniques, et surtout avec leurs renseignements militaires. Après l’invasion de l’URSS par les allemands en Juin 1941, la crainte resurgit de voir le Moyen-Orient tomber aux mains des puissances de l’Axe. par une vaste opération en tenailles. L’armée allemande pourrait faire mouvement à partir du Caucase vers le sud et l’Africa Corps du général Rommel, appuyée par l’armée italienne, qui se trouvait déjà aux portes d’Alexandrie, pourrait menacer le front sud. Compte tenu de la situation l’armée britannique est intéressée par le potentiel militaire du Yshouv.
A partir des compagnies, dont l’une avait été créée par Moshé Dayan avant sa blessure, on met sur pied une nouvelle milice avec l’aide des anglais, qui est placée sous le commandement d’Its’hak Sadeh avec Ygal Allon comme adjoint. Cette nouvelle organisation s’appelle le Palma’h, compagnies de choc. Elle sera le bras opérationnel principal de la Haganah lors de la lutte contre les britanniques et au début de la guerre de 1948. A son début le Palma’kh ne compte que quelques compagnies destinées à mener des opérations de guérilla dans l’hypothèse de l’arrivée des allemands aux portes du pays.
Au sein de l’armée anglaise et du commandement de la Haganah on commence à réfléchir à la situation qui règnerait dans le pays en cas de conquête par les allemands. Il est notamment décidé de créer un réseau d’espionage qui agirait secrètement contre la puissance allemande en cas de nécessité. Reuven Zaslanski en charge de ce dossier pour le compte de l’Agence juive connait Moshé Dayan depuis l’époque où il s’occupait des prisonniers de la Haganah enfermés dans la prison de Saint Jean d’Acre. A présent il fréquente souvent les Dayan de l’étage supérieur. Zaslanski aide Ruth et sa belle-mère à faire profiter Moshé de nouveaux soins médicaux, et il sympathise avec lui. Au milieu du mois d’août 1941, trois mois après sa blessure, il propose à Data, de créer ce réseau d’espionage qui sera connu des initiés du nom de « réseau de Moshé Dayan ».
Ce programme comprend la création de stations d’emissions secrètes opérées par des juifs entrainés et chargés de transmettre aux agents anglais les informations sur ce qui se passe dans les territoires envahis. Le réseau est mis sur pied grâce à une collaboration parfaite entre la Haganah et l’armée britannique; Dayan est rattaché à un colonel des renseignements anglais. En septembre se déroule à Tel-Aviv une formation pour opérateurs de stations émettrices et qui seront regroupés par Dayan afin de constituer six stations. Chacune emploie un opérateur radio, un spécialiste du chiffrement et un agent chargé de rassembler les informations. On définit des procédures de dissimulation du matériel et de mise en œuvre précises.
Dayan remet l’idée de la création d’un département arabe composé de juifs arabophones qui pourraient agir en se faisant passer pour des arabes, ainsi qu’un département allemand composé de juifs d’origine allemande, capable de se faire passer pour des allemands et opérer au sein de l’armée d’invasion. La proposition est accepté par les anglais et le commandement de la Haganah mais sa mise en œuvre est confiée à l’État-major du Palma’h. Dayan propose également d’enrôler des juifs palestiniens afin de les parachuter en Europe pour répondre aux besoins des renseignements britanniques mais aussi pour entrer en relation avec les juifs sur place dont l’extermination avait déjà commencé et au sujet de laquelle des informations commençaient à arriver en Israël. Quelques opérateurs radio de Dayan reçoivent une formation de parachutiste. Plusieurs d’entre eux sont parachutés pour entrer en contact avec des partisans en Grèce et en Yougoslavie. Dayan est impliqué dans les premières phases de ce programme mais la direction opérationnelle n’est pas de sa responsablité.
A l’automne 1942, l’armée de Rommel est écrasée lors de la bataille d’El Alamein. Le danger d’une invasion allemande du pays est passé. Le réseau de Dayan est démobilisé et il se retrouve à nouveau sans emploi. Il sort du terrain de jeu principal dominé par Its’hak Sadeh et Ygal Allon. Ce dernier lui propose de se mettre avec son réseau au service du Palma’h mais Dayan décide de s’éclipser de la scène. Il préfère retourner à Nahalal et développer sa ferme acquise avec l’aide de son beau-père.
Avant de quitter Jérusalem avec Ruth, Yael et le bébé E’houd, Dayan a l’occasion de mener une nouvelle mission. Au mois d’août 1942, des chauffeurs juifs doivent conduire une compagnie de soldats indiens de Palestine jusqu’a Bagdad, puis revenir avec une compagnies de soldats anglais. L’un des chauffeurs embauche Dayan comme second. En fait il est chargé par le commandement de la Haganah de faire passer trois valises pleines d’armes pour une cellule secrète mise en place à Bagdad pour protéger les juifs à la suite du pogrome de l’été 1941 au cours duquel 180 d’entre eux ont été tués. Lorsque la caravane arrive dans le camp britannique aux environs de Bagdad, Dayan se dérobe, emballe ses vêtements dans un petit paquet, et pieds nus, en sous-vètements et sans son bandeau sur l’oeil, il part à pied pour la ville de Hâroun ar-Rachîd.
En chemin il rejoint une colonne de paysans arabes qui transportent sur les dos de leurs ânes des fruits pour le marché et il se fait passer pour l’un d’entre eux. L’oeil sali avec de la boue ramassée du bas côté ils un air pitoyable et il passe les portes de garde sans éveiller le moindre soupçon. Dayan arrive à l’hôtel ou séjourne Enzo Sereni, le délégué de l’Agence juive en Irak. A l’aide d’un joli bakchich il convainc l’un des surveillants de l’hôtel d’alerter Sereni qui le fait monter dans sa chambre. Là il se douche, enfile ses vêtements, remet son bandeau et reprend l’apparence d’un habitant du Yshouv. Après la tombée de la nuit et sans éveiller l’attention de la police, ils sortent pour une courte visite des résidences des activistes de la Haganah situées dans le quartier juif. A son retour au camp, il fait livrer les valises d’armes et reprend le chemin du retour après avoir déguisés en soldats anglais deux réfugiés juifs qui arrivent de Pologne et qu’il doit faire sortir d’Irak.
Plus tard, il s’avérera que l’un des deux réfugiés immigrera au Canada, y fera fortune et fera construire à Tel-Aviv trois tours qui porteront son nom : les tours Azriéli. Ruth rencontrera Azriéli trente années plus tard et elle racontera qu’il lui avait déclaré que Dayan lui avait sauvé la vie, mais selon elle, « Dayan ne s’intéressait pas à cette histoire. J’étais romantique mais lui n’avait pas la nostalgie du passé; uniquement le présent et le futur. »
Dayan passe la plus grande partie des cinq années suivantes à Nahalal. Il y a acquit une exploitation devenue vaquante et est admis comme un membre indépendant du moshav. Dayan qui est un agriculteur expérimenté, développe son exploitation de ses propres mains. Ruth également compétente dans le travail de la ferme, le seconde. A propos de cette période, elle consignera dans ses mémoires :
J’étais heureuse dans notre nouvelle ferme. Ces années à Nahalal furent des années merveilleuses d’unité familiale dans un cadre de vie que j’aimais. Durant cette période nous étions la plupart du temps ensemble. Nous travaillions ensemble pour un objectif commun et nous vivions ensemble comme tous les gens normaux.
C’est là que nait leur troisième enfant Assaf. A l’automne 1945, la Haganah participe à des actions communes avec l’Etzel et le Le’hi dans le cadre d’un grand mouvement de révolte. Les opérations terroristes des juifs contre les autorités britanniques augmentent dans le pays et entrainent un couvre-feu la nuit. Quand Ruth ressent les premières douleurs, Dayan la conduit après qu’elle est terminé de cuire son gateau, à l’hôpital avec le camion citerne du moshav, et viole ainsi les consignes de couvre-feu. Malgré le bonheur de Ruth, il est facile d’imaginer que l’esprit de Dayan n’est pas au repos. La tempête souffle trop fort autour de lui. Il est probablement frustré d’entendre parler des exploits de ses anciens compagnons qui écrivent en ces jours-ci une page impressionnante d’actions courageuses contre la puissance britannique. L’immigration illégale fonctionne à plein régime. Sur les plages du pays arrivent des navires acquis et affrétés par la Haganah dans les ports européens, et pilotés par le Palyam, la composante maritime du Palma’h. En juillet 1947, Yoni Harel, un ami de Dayan du temps des opérations avec Orde Wingate, commande le navire « Sortie d’Europe », plus connu sous le nom d’Exodus.
Les attaques d’objectifs britanniques se multiplient dans le pays. Au mois d’octobre 1945, le Palma’h se rend maitre du camp d’Atlit et y libèrent environ 200 activistes prisonniers qu’il disperse ensuite dans des kibboutz et des Moshav. En novembre des unités du Palma’h sabotent le réseau ferré dans tout le pays en 150 endroits. La même nuit, le palma’h toujours, détruit simultanément dans les ports de ‘Haïfa et de Jaffa, des embarcations des gardes cotes utilisées pour la chasse aux immigrants illégaux. Des stations radars qui traquent les navires illégaux sont ciblées en permanence. Dans la nuit du 17 juin 1946, la Haganah mène l’opération la plus vaste et la plus impressionnante. Des unités du Palma’h font exploser onze grands ponts reliant le pays avec ses voisins, de Métullah dans le nord et jusqu’aux rives du Jourdain et Gaza dans le sud. C’est Ygal Allon qui a préparé et dirigé l’opération. Il commande à présent quatre compagnies du Palma’h.
Dayan est toujours considéré par le commandement de la Haganah comme un agent de premier plan. De temps en temps elle lui confie des missions. A la fin de l’année 1944 et au début de 1945, Dayan est mobilisé durant plusieurs mois pour une mission spéciale, dépourvue de gloire et frustrante. Le 1er février 1944, Ména’hem Begin, qui vient d’être promu à la tête de l’Irgun (Etzel) proclame la révolte contre les autorités britanniques, alors que la guerre mondial bat son plein. La direction de l’Agence Juive et le commandement de la Haganah considèrent à ce stade que les actions de l’Irgun contre les anglais représentent un grave danger. Ils font à l’époque de gros efforts pour obtenir la création d’une brigade combattante spéciale au sein de l’armée britannique qui serait composée de volontaires juifs palestiniens et qui participerait aux combats en Europe. D’où la volonté absolue de l’Agence Juive de poursuivre la collaboration avec les autorités mandataires tant que la guerre durera.
Après que deux combattants du Le’hi aient assassiné au Caire Lord Moyne, le premier représentant britannique au Moyen-Orient, il est décidé d’éliminer les organisations dissidentes qui n’accepteraient pas l’autorité de l’Agence Juive. Une unité spéciale de la Haganah est chargée d’une opération qui sera surnommée « la saison » d’après l’expression française « la saison de chasse ». De nombreux activistes de l’Irgun sont arrêtés et retenus dans plusieurs kibboutz ou parfois livrés aux anglais. Les britanniques exilent nombre d’entre eux dans des camps d’internement en Érythrée.
Cette déplorable affaire fit l’objet en son temps de graves controverses et de nos jours elle est encore perçue comme une tâche sur le leadership sioniste de cette époque. Il n’est pas surprenant que Moshé Dayan ne s’étende pas sur son rôle dans cet épisode. Ruth ne conserve pas de souvenirs positifs de cette époque. « Ce furent des jours déments où chacun soupçonnait son prochain. Un poids fut retiré de nos coeurs lorsque cette période prit fin. » Cependant, à partir des rares propos de Dayan, on comprend qu’il a joué un role centrale dans cette affaire. Pendant plusieurs mois, il laisse sa famille à tel-Aviv. Dans le cadre de sa mission, il est amené à rencontrer les dirigeants des organisations clandestines dissidentes et il engage avec Mena’hem Begin des discussions prolongées. Ce dernier est impressionné : « Sur de nombreux sujets, nous étions d’accord. » Dans ses mémoires il racontera que Dayan « faisait entendre à ses oreilles des encouragements attachants… Il analysait nos opérations selon un angle principalement éducatif. Elles démontraient à toute la jeunesse juive qu’il était possible de frapper les anglais. » De son côté Dayan témoignera qu’il appréciait leurs opérations et leur abnégation., et qu’il avait trouvé avec eux un language commun. Mais il demeure fidèle à la voie tracée par David ben Gourion qui disqualifie totalement leur politique et condamne leur refus de la discipline nationale.
Ce dualisme se retrouve encore lors de sa rencontre avec les dissidents à la prison de Saint Jean d’Acre. Il racontera : « Il y a ici 34 hommes révisionnistes, la plupart très jeunes. Même si je n’accepte pas leurs positions, je les considère comme une partie d’entre nous qui symbolise à Saint Jean d’Acre la souffrance actuelle des juifs. » Il aura l’occasion de les affronter à nouveau mais au fil des années il fera équipe avec ces jeunes, y compris sur le plan politique.
Son travail au département politique de l’Agence Juive en 1942 et sa participation à la « Saison » rapprochent Dayan des cercles du pouvoir politique du mouvement sioniste en général et du parti des travailleurs d’Israël en particulier. Certains de ses dirigeants ont déjà apprécié son habilité politique. C’est une période de fortes divisions au sein du parti ouvrier. Un groupe minoritaire dominé par des membres du mouvement des kibboutz que dirige Its’hak Tabenkin, a fait sécession et a fondé le parti de l’unité des travailleurs qui se distingue par un activisme sioniste et une opposition à la partition du pays.
Bien que le parti dissident soit moins important en nombre que l’ancien parti ouvrier dirigé par Ben Gourion, l’atmosphère radicale qui règne dans ses rangs, attire à lui de nombreux jeunes. La majorité des commandants du Palma’h, dont Its’hak Sadeh, Ygal Allon et Israel Galili avec lequel Dayan s’est affronté au milieu des années 30 à propos du mouvement de jeunesse, soutiennent le parti minoritaire. Ben Gourion s’efforce d’attirer à lui des militants de la jeune generation, en particulier des activistes de la Haganah pour faire contrepoids aux adhérents du parti dissident.
Dayan commence à militer dans la jeune garde du Mapaï. Le 20 novembre 1944 il participe pour la première fois à un congrès de son parti en tant que délégué et avec d’autres jeunes, il lutte contre la vieille garde pour la place des jeunes au sein de la direction du parti. C’est là qu’il rencontre pour la première fois Shimon Peres, alors acteur central au sein du mouvement de la jeunesse ouvrière. Dayan a 8 ans de plus que Peres mais malgré leur différence de caractère et de style, ces deux là coopéreront pendant de nombreuses années.
A l’hiver 1946, Dayan et Peres sont envoyés à Bâle en Suisse, là où Benjamin Zeev Herzl avait fondé le mouvement sioniste 50 ans plus tôt. Ils ont été désignés comme observateurs au 22ème congrès sioniste mondial, le forum suprême de l’organisation sioniste mondiale. C’est le premier congrès qui est organisé au sortir de la seconde guerre mondiale. Au centre des débats, l’opposition entre d’une part Ben Gourion qui prône une orientation vers les États Unis et une politique active contre les autorités britanniques en Palestine, et d’autre part ‘Haïm Weizman, le vieux leader du mouvement sioniste depuis 30 ans, qui tient à l’orientation pro-britannique.
En tant qu’observateur, Dayan ne participe pas aux débats en séance plénière, mais il prononce un discours combatif au cours d’un débat au sein de son groupe politique. Il y exprime une position résolue contre les anglais, c’est à dire une opposition par la force à l’expulsion des immigrants clandestins de la Palestine, contre l’armée britannique qui mène des fouilles dans les villages juifs à la recherche d’armements illégaux, et pour les manifestations de rue afin de briser le couvre-feu que les anglais imposent régulièrement dans les villes.
Il déclare : » Cette terre est la nôtre. Si quelqu’un la frappe, nous serons forcés de le frapper. Et si cela signifie que nous devrons faire sauter des ponts, nous le ferons, et de même pour les immeubles. C’est une guerre et il convient de s’assurer que tous comprennent, comme je le comprends moi-même, que cette terre est la nôtre et nous n’en avons pas d’autre. » Plusieurs anciens du parti sont ébranlés et même Ben Gourion est impressionné. Il invite Dayan pour une « discussion entre trois yeux » dont le contenu ne sera pas divulgué.
Ruth accompagne son mari en Suisse car ils souhaitent profiter de l’occasion pour tenter une nouvelle intervention à son œil. Un célèbre médecin parisien accepte de tenter une transplantation osseuse. Ses parents, Dvora et Shmuel, délégués au congrès sioniste sont présents à Bâle. Son frère Zohar qui s’est engagé dans la brigade juive créée dans le cadre de l’armée britannique à la fin de la guerre se trouve alors en Europe avec son unité et il rejoint sa famille pour quelques heures.
Moshé et Ruth quittent Bâle pour Paris mais l’opération ne se déroule pas bien car il s’avère impossible de poser un œil artificiel. Moshé est forcé de rester allongé durant un mois à l’hôpital en compagnie de Ruth et de religieuses catholiques qui li servent d’infirmières. Ruth témoigne avec humour sur l’ambiance :
Pendant quatre journées suivant l’opération, Moshé resta couché avec une forte température et sans rien pouvoir avaler. Je restais à son chevet jour et nuit, assise sur une chaise dure et dans une pièce froide, sans chauffage. Quand il commença à se rétablir, Moshé devint irrité et agité. Il refusa de me laisser m’éloigner de lui. « Que ferais-je avec toutes ses bonnes sœurs ? En en plus je ne parle pas francais. » se lamentait-il. Il quitta Paris avec son bandeau noir qui le tourmentait tant.
Dans ses mémoires il écrira : » J’étais prêt à tous les efforts et à toutes les souffrances pour être libéré de ce bandeau noir. J’attirais l’attention à cause de lui. Cela m’était très pesant et m’oppressait beaucoup. Je préférais m’enfermer à la maison pour ne pas attirer les regards de tous. Il est difficile de comprendre à quel point c’était désagréable et inconfortable de devoir sans cesse supporter les chuchotements et les regards curieux. Je voulais pouvoir me promener en ville, m’assoir à un café., dans un cinéma comme tout le monde. » Ce bandeau le tourmentera toute sa vie tout en devenant plus tard un symbole respecté.
En 1947 les nuages de la guerre assombrissent le ciel. L’ONU s’apprête à prendre position sur la partition du pays et on envisage la possibilité que le Yshouv soit forcé de faire face à une attaque généralisée des pays arabes. David Ben Gourion prend en main les affaires de sécurité au nom de la direction sioniste. Au mois d’avril 1947, Dayan est affecté à temps plein à l’Etat major de la Haganah. Il est nommé commandant du département des affaires arabes. À ce poste il doit enrôler des agents qui devront s’infiltrer au coeur du camp arabe afin de fournir à la Haganah des informations de première main et actualisées. A présent l’armée juive s’agrandit rapidement et se modifie en profondeur. Debut 1948, la Haganah comptera 30.000 engagés répartis en douze brigades regionales qui supporteront l’effort de guerre contre les palestiniens et les volontaires venus des pays arabes. Parmi les officiers de cette armée en formation on distingue trois groupes. Les vétérans de la Haganah qui acceptent sans sourciller le leadership de Ben Gourion ; les commandants du Palma’h liés au mouvements des kibboutz dirigé par Israel Galili, chef de l’Etat major national ; les vétérans de l’armée britannique qui apportent avec eux une expérience et un professionnalisme militaire important.
Dayan est un fidèle de Ben Gourion mais c’est un oiseau étrange et indépendant n’appartenant à aucun courant. Qui plus est il n’a jusqu’alors exercé aucune fonction de commandement. Il n’est pas directement impliqué dans le processus de transformation rapide de la Haganah en armée régulière. Dans ses nouvelles fonctions il conserve principalement un rôle de conseiller et non d’acteur.
Cependant il est considéré comme un officier supérieur. Le 1er janvier 1948 ainsi que le lendemain, Ben Gourion réunit les commandants de l’armée et des renseignements pour débattre de la ligne.a adopter à l’égard des palestiniens. Dayan est invité en tant que spécialiste du sujet. Il est admis au comité restreint qui incluent les chefs du renseignement et les responsables du département politique de l’Agence juive afin de coordonner la politique envers les arabes d’Israel.
Avec le renforcement de la lutte armée des palestiniens et la participation des volontaires arabes venus des pays voisins, les druzes sont enclins eux aussi à prendre parti pour les palestiniens. Debut janvier 1948 la ligue arabe crée l’armée arabe de liberation et place à sa tête Fawzi al-Kaoudji, un officier vétéran de la révolte arabe de 1936. Arrive aussi dans la région de Haïfa un officier druze de l’armée syrienne qui forme une compagnie de combattants issus de villages druzes et de volontaires venus des monts druzes de Syrie. Debut avril 1948, Kaoudji attaque avec deux des brigades de l’armée de liberation le kibboutz Mishmar HaEmeq près de la route Meggido-Haïfa. De son côté, la compagnie druze attaque à l’ouest de la vallée de Jezreel le kibboutz Ramat Yo’hanan proche de la route conduisant à Nazareth. Le combat dure quatre jours. Les forces de la Haganah réussissent à repousser les druzes. Cependant au cours des combats, il s’avère que Zohar, le jeune frère de Moshé Dayan, qui venait de se marier et de terminer un cours pour officier, est tué en montant à l’assaut à la tête de ses hommes.
Moshé Dayan et Israel Guéfen, le mari de sa sœur Aviva, partent pour identifier le corps. Dayan écrira laconiquement : la maison est endeuillée. La guerre se poursuit et les nombreux fils qui tombent chaque jour [problème traduction page 62 premier paragraphe]
Il s’attarde sur la tristesse de leur mère. « Maman était plus proche de Zorik que d’Aviva ou de moi. En partie parce qu’il avait été l’enfant de sa vieillesse, mais surtout à cause de son caractère. Il possédait une vitalité extraordinaire, une joie débordante et rayonnante. Dès sa naissance il avait profité de la vie comme si elle n’avait pas de limite. » Il ajouta un paragraphe intéressant qui témoigne aussi de sa façon de considérer sa famille :
Zohar n’était pas comme les autres membres de la famille. Pour nous, quel que soit le chemin que nous empruntions, quelle que soit la chose à laquelle nous croyions, nous éprouvions des hésitations. Il y avait toujours un côté face à la pièce. Et voici que naissait et grandissait sur les genoux de notre mère un fils rempli de confiance et d’assurance. Quand il était de bonne humeur, aucun nuage ne pouvait assombrir son ciel. Puis il revient à sa mère : « Je savais que cette blessure ne pourrait cicatriser durant le reste de sa vie. »
Suite à la défaite des druzes à Ramât Yo’hanan, leurs leaders dans le pays décident de changer de camp. Les villageois cessent le combat et certains se portent volontaires pour aider les juifs.
A partir du milieu du mois d’avril la Haganah adopte une tactique qui va lui permettre de battre les palestiniens à plat couture. Les juifs conquièrent des pans importants de territoires attribués à l’état juif selon la décision l’ONU. De nombreux anciens compagnons de Dayan sont alors déjà à des postes de commandants de bataillons ou de brigades et ils combattent avec succès dans tout le territoire.
Ainsi Moshé Carmel, son compagnon de cellule à Saint Jean d’Acre est à présent le commandant de la brigade qui a conquis ‘Haïfa et qui opère en Galilée occidentale. Shimon Avidam, le commandant du département allemand durant la seconde guerre mondiale, est devenu le commandant de la brigade opérant dans la région de Tel-Aviv, sur la route de Jérusalem et dans le sud de la Shéphélah. Enfin Ygal Allon commande la brigade du Palma’h qui a conquis Safed et Tibériade et qui opère en Galilée.
Dayan est impatient. Il veut participer au combat de manière active. Au début du mois de mai, son mentor et ami; Its’hak Sadeh est chargé de constituer une nouvelle brigade qui doit devenir la première brigade blindée dès que les chars, acquis en Europe, pourront entrer dans le pays à la fin du mandat britannique. Dans le cadre de cette nouvelle brigade, il propose à Dayan de créer un bataillon de commandos, répondant ainsi à ses voeux les plus chers.
Le 15 mai, alors qu’il travaille à la constitution de son bataillon, cinq armées arabes envahissent le territoire d’Israël. L’armée syrienne attaque au sud du lac de Tibériade et s’approche de Dégania, le lieu de naissance de Dayan. Plusieurs forces sont présentes sur place : des combattants des kibboutz environnants , des unités de la brigade Golani et des éléments de la brigade d’Ygal Allon dépêchée en urgence dans le secteur. A eux se joignent des volontaires des moshavim de l’Emeq, dont de nombreux habitants de Nahalal. Le quartier général décide d’envoyer Moshé Dayan dans la vallée du Jourdain pour coordonner les actions de toutes les forces afin de freiner l’armée syrienne qui menace d’enfoncer le front dans ce secteur.
Avant son arrivée sur place, le 19 mai, les habitants des deux kibboutz proches de la frontière sont évacués. Les syriens conquièrent Tséma’h situé au carrefour des routes conduisant au sud vers Beth Shéan et à l’ouest vers Nazareth. Au centre de Tséma’h se trouve un poste de police fortifié qui tombe aux mains des syriens dès le début de l’attaque. La contre-offensive du Palma’h échoue. les syriens s’apprêtent à donner l’assaut sur Degania afin d’occuper le pont sur le jourdain et l’entrée du lac de Tibériade. Dayan comprend qu’il lui est impossible de reculer et qu’il doit stopper les syriens ici et maintenant.
Puisqu’on ne lui a pas limiter précisément ses compétences, il ne s’embarrasse pas avec les questions de formalisme et il fait comme il peut. Il nomme l’un de ses camarades de Nahalal commandant de Degania Beth, ce kibboutz dans lequel son père, 30 ans plutôt, avait incendié la baraque principale en fuyant les émeutiers arabes. A présent les deux Degania se trouvent sur la ligne de front face à une armée de métier équipée de canons et de chars. Dayan ordonne à un groupe de volontaires d’occuper une hauteur située à côté des bords du Kinnereth (Lac de Tibériade), au nord des kibboutz attaqués et sur un flanc de la force syrienne à l’assaut. On fait venir un canon léger de 20 mm capable de porter atteinte aux chars. En même temps une batterie de quatre canons de campagne désuets est positionnée sur une hauteur à l’ouest du Jourdain.
L’assaut des syriens contre les deux Deganiah durent neuf heures. Deux chars syriens arrivent à percer la clôture mais ils sont stoppés à l’aide de cocktails Molotov et par une roquette de type PIAT (Projectile Infantry Anti Tank) ; l’une des trois que Dayan a fait venir dans la vallée du Jourdain. A 1h de l’après-midi la situation s’équilibre et Dayan décide d’utiliser les canons de campagne. Ils ne sont pas équipés de dispositif de visée mais la précision du tir n’est pas ce qu’il y a de plus important étant donné que les syriens sont dispersés sur une zone assez large. C’est l’effet psychologique qui est recherché. C’est la première fois que des juifs utilisent des canons. Les syriens se replient dans toutes les directions et se replient à l’est.
Dayan résume ainsi le combat : » Deux facteurs ont permis de briser l’offensive. L’assaut a été stoppé par les défenseurs des Deganiah et de Beit Yéra’h puis l’ordre d’évacuation donné par les syriens après que les obus de canons aient frappé l’immeuble de la police et les maisons de Tséma’h. » A la tombée de la nuit le front est redevenu calme et Dayan estime que les syriens s sont retirés de Tséma’h. Il part avec quelques soldats en direction du bâtiment de police et trouve la place « vide, sans vie et abandonnée. » A côté des corps de soldats syriens éparpillés sur le sol, ils trouvent les corps des soldats juifs tués lors de la première retraite et ceux de la contre-attaque ratée. le choc qui atteint Dayan à la vue de ces corps se reflète très bien dans ses écrits quelque peu emphatiques :
Un combat dur, tragique et déprimant. Beaucoup de sang jeune a coulé ici. Non pas du sang de soldats habitués à la guerre mais le sang de jeunes qui ont rencontré la mort les yeux grands ouverts. Les blessés ont été abandonnés gémissant sur le bord de la route. Leurs camarades pris sous le feu n’ont pas pu les panser et les rassembler. Face aux chars, aux canons et aux blindés syriens, les défenseurs ont combattu avec un armement misérable… Un peuple non préparé et non équipé pour la guerre. Ce fut un combat héroïque, désespéré, le dos au mur, le combat pour Déganiah.