Moins de deux semaines après que Ben Gourion ait donné l’ordre de préparer l’armée pour une guerre, Dayan comprend finalement que le Premier ministre reste très hésitant. Le ministère des affaires étrangères dirigé par Moshé Sharett mobilise tous ses moyens diplomatiques pour obtenir de l’armement qui équilibrerait en quantité et en qualité le contrat tchéco-égyptien. Sharett part pour l’Europe afin de rencontrer les ministres des affaires étrangères des grandes puissances réunis à Genève, tandis que l’ambassadeur à Washington, Abba Eban, travaille dur pour modifier la politique d’embargo conduite par le secrétaire d’État américain John Foster Dulles. Les ministres anglais et américain ne s’écartent pas de leur position rigide alors que dans le même temps le ministre soviétique Viatcheslav Molotov n’imagine même pas revenir sur son programme d’armements pour l’Égypte. Le seul résultat obtenu par Sharett est une promesse de principe du Président du conseil français, Edgar Faure, de fournir à Israël des avions modernes de type Mystère.
A Washington, les efforts se poursuivent. Le président Dwight Eisenhower envoie des signes encourageants. Sharett estime qu’Israël ne doit prendre aucune initiative offensive qui pourrait ruiner ses efforts. Dans une tentative pour redonner de l’élan au Vieux et le faire revenir à l’état d’esprit combattif qui était le sien quand il a ordonné à Tsahal de se préparer à la guerre, Moshé Dayan lui envoie le 10 novembre une note détaillée dont voici un extrait :
Concernant les opérations hostiles menées par l’Égypte et la violation des accords de cessez le feu par des infiltrations le long de la bande de Gaza, dans la région de Nitsana et dans le golfe d’Eilat, il convient d’agir de la sorte :
- Ralentir le rythme du renforcement de l’armée égyptienne qui grâce au contrat d’armes signé avec la Tchécoslovaquie pourra d’ici quelques mois disposer d’un nouvel armement qui dépassera en quantité et en qualité celui dont nous disposons.
- Prendre l’initiative d’un choc préventif avec le régime égyptien qui aspire à une guerre de destruction d’Israël, dans le but d’aboutir à un changement de régime ou à une modification de sa politique.
- Répondre énergiquement et durement aux viols des accords de cessez le feu et aux actions menées contre nous depuis le territoire égyptien.
Dayan met l’accent sur la conquête de la bande de Gaza. Il propose de l’occuper immédiatement, même si cela devait entrainer le refus des français d’honorer leur promesse de fournitures d’armes. Il informe Ben Gourion que les préparatifs en veuve la conquête de Sharm el-Shiekh seront achevés à la mi-décembre. En fait Dayan demande le lancement d’une campagne de grande ampleur. Mais ce qu’il craint se réalise trois jours plus tard : pendant la réunion de l’État-major restreint, ben Gourion l’informe que l’opération contre l’Égypte est décalée à la mi-janvier. Le son de sa voix reflète parfaitement son embarras.
A l’occasion d’un autre rencontre, Dayan réagit directement aux hésitations de Ben Gourion et affirme sans nuance qu’à son avis il ne sortira rien des efforts pour recevoir des armes des USA, et si néanmoins quelque chose nous parvient, « nous préférons combattre maintenant, sans arme américaine, et pas plus tard avec des armes américaines. Le meilleur moyen de renforcer Tsahal », ajoute-t-il, « est de détruire l’aviation égyptienne par une attaque aérienne préventive. » Alors que Ben Gourion s’oppose à l’idée d’une guerre préventive et qu’il n’emploie pas cette expression, Dayan partage l’opinion de tous les officiers supérieurs de Tsahal et il lui a même donné un écho très favorable lors d’une réunion du haut commandement : il est interdit de repousser l’attaque ne serait-ce que d’un jour.
Le gouffre séparant la position de Dayan de celle de Ben Gourion ne tarde pas à être découvert. Lors de la réunion de l’État-major restreint du 17 novembre, le Chef d’État-major revient à la charge et insiste auprès du Premier ministre et du ministre de la défense : « Si nous occupons Tiran et Rafia’h, cela nous donnera une bien meilleure frontière. Et une meilleure frontière représente un atout très précieux. Mais Ben Gourion lui répète que si Israël prend l’initiative d’une attaque, les anglais viendront à la rescousse des arabes. Et si Israël déclenche les hostilités, toutes ses sources d’approvisionnement en armes se tariront et nous resterons seuls. Il ne s’agit plus de tirer et de voir ce qu’il se passera. Après cela, on s’enfuira ? Où cela ? Il est clair que ce moment-là Ben Gourion partage l’analyse politique de Moshé Sharett. Avant de partir pour la seconde fois aux États-unis afin d’arriver à convaincre l’administration américaine de fournir à Israël l’armement qui lui manque, Moshé Sharett réussit à faire adopter par le gouvernement le 4 décembre une résolution de principe concernant le gel de toute initiative militaire. Ben Gourion vote en faveur de la proposition.