C’est au cours de l’une des absences de Dayan du pays qu’a lieu un évènement qui va projeter une ombre pesante sur tout le monde politique israélien au cours des dix années suivantes. Cette affaire aboutira en fin de compte au retrait de Ben Gourion de la vie politique et marquera le début de la fin du Mapaï. L’affaire débute par une histoire stupide et négligeable. Le colonel Binyamin Gibli, chef des renseignements militaires, ordonne de réveiller à des fins d’opérations de provocation, un réseau d’espions constitué en Egypte quelques années plus tôt. l’objectif de cette initiative est d’empêcher le retrait de la zone du canal de Suez des forces britanniques. De jeunes juifs égyptiens font exploser de petits engins incendiaires dans des institutions britanniques et américaines du Caire et d’Alexandrie. Ceux-ci ne provoquent pas d’importants dégâts mais l’un de ces engins explose dans la poche d’un des jeunes et les dix membres du réseau sont arrêtés et traduits en justice. Deux des leaders du réseau sont condamnés à mort, sept dont une femme Marcelle Ninio, sont condamnés à de longues peines de prison. Un espion israélien qui a lui aussi été capturé parvient à se suicider en prison. L’affaire est rendue publique et stupéfait le monde entier. Israël nie tout lien avec le réseau. Malgré la censure très sévère des informations détaillées sont publiées dans la presse israélienne sous forme d’allusions. Toute l’affaire est baptisée du nom de code « l’affaire Habish » mais peu de gens en Israël comprennent réellement ce dont il s’agit.
Dans les allées du pouvoir on cherche à savoir qui a donné le feu vert au réseau pour agir de la sorte. Binyamin Gibli affirme que le ministre de la défense, Pin’has Lavon lui en a donné l’ordre au cours d’une discussion entre 4 yeux. Lavon dément fermement. La commission d’enquête nommée par le Premier ministre Moshé Sharett d’arrive pas à déterminer qui est responsable de l’opération. Lavon démissionne et Gibli doit quitter son poste de chef des renseignements militaires pour être nommé à une fonction subalterne. À la fin des années 50 il sera démontré que Gibli avait ordonné à sa secrétaire de modifier la date inscrite sur l’exemplaire de la lettre qu’il avait écrite à Dayan alors que celui-ci séjournait aux USA., afin de renforcer son argumentation selon laquelle l’affaire Habish trouvait sa source dans la rencontre entre quatre yeux qu’il avait eue avec le ministre. Cette découverte créera une grande confusion au sein de l’establishment israélien, un charivari qui deviendra « L’affaire Lavon ».
Comme nous le savons, Dayan n’est pas en Israël lorsque le réseau tombe. Dans la lettre que lui envoie Binyamin Gibli le 19 juillet 1954, après la chute du réseau, il semble absolument clair que l’ordre a été donné après que Dayan ait quitté le pays et sans qu’il en soit informé. Il n’y a aucun doute qu’il connaissait le projet d’actionner le réseau afin de faire échouer le retrait des britanniques du Canal, mais il n’a pas été partie prenante dans la décision de la mise en oeuvre effective. Six mois plus tôt, en Février 1954, il avait discuté de la possibilité d’activer le réseau à des fins de provocations. Dayan avait exprimé sa totale opposition et avait exiger de maintenir le réseau en sommeil et de ne l’utiliser qu’en cas de guerre. Néanmoins Dayan est impliqué dans la crise qui se produit parce qu’au cours des enquêtes menées par la commission, Lavon exige que Dayan soit évincé au motif qu’il a perdu sa confiance, non parce qu’il serait responsable de ce qui s’est passé mais pour d’autres raisons.
Lors de son témoignage devant la commission Olshan-Dori qui enquête sur l’affaire Habish, Dayan exprime également de nombreuses affirmations contre Lavon. Dès leur entrée en fonction à la fin de Décembre 1953, ces deux-là se sont opposés sur plusieurs sujets. Par exemple, Dayan se plaint du refus du ministre de la Défense d’autoriser l’achat de fusils modernes pour Tsahal alors que cette dépense figure dans le budget du ministère et qu’elle est recommandée par tous les experts. De même Dayan proteste du refus du ministre d’autoriser l’acquisition de chars français alors que l’État-major pousse à cet achat.
Le 15 juin 1954, Dayan va même jusqu’à présenter une lettre de démission à son ministre de tutelle au motif que celui-ci tenterait de passer au dessus de lui, en rencontrant des officiers sans l’en informer, en prenant sans le consulter des décisions sur de nombreux sujets relevant de l’autorité du Chef d’État-major. Dans cette lettre, il justifie sa démission par une courte phrase : « Je regrette profondément de ne pas avoir réussi à obtenir votre confiance. » Lavon n’accepte ps sa démission. Au cours d’une conversation entre trois yeux, ils tentent d’aplanir autant que possible les difficultés mais Lavon reste convaincu que Dayan n’est pas digne de confiance et est indiscipliné. A la suite de la démission de Lavon, David Ben Gourion rentre de Sdé Boker le 21 février 1955 et entre au gouvernement de Moshé Sharett comme ministre de la Défense. Pour le moment la tempête s’est calmée et l’establishment reprend son souffle.