C’est au cours de la présence de Dayan aux USA qu’éclate un petit scandale familial. Yael, sa fille bien aimée qui n’a pas encore 15 ans, jeune fille douée, intelligente et mature pour son âge. Elle s’apprête à terminer ses études secondaires à Tel-Aviv avec deux ans d’avance. Elle s’est liée d’amitié avec Ouri Avneri, l’éditeur de l’hebdomadaire politique HaOlam HaZé, très critique à l’égard de la politique gouvernementale et qui a le don d’agacer l’establishment. L’hebdomadaire publie des articles dans lesquels on critique vigoureusement les opérations de représailles menées par Tsahal, et qui dévoilent des détails restés jusqu’alors secrets sur l’épisode de Qibya mais aussi sur les mauvaises relations existantes au sommet de la hiérarchie militaire. Ces articles inquiètent le pouvoir exécutif et les services de sécurité estiment qu’une partie des informations divulguées a été transmise à la rédaction par Yael. Ils fouillent la chambre, consulte son journal intime et ses cahiers de classe. Yael ne dément qu’une partie des accusations portées par les enquêteurs. Dans ses mémoires elle avouera : « J’étais une rebelle, j’étais différente, je marchais sur une voie dangereuse sans le savoir. J’ai probablement été manipulée par des gens plus doués que moi., mais je n’ai pas dit ou écrit quoique ce soit de secret susceptible de causer des dommages.
Interrogée, Ruth, sa mère, este consternée et ne sait pas comment gérer la situation. Elle envoie à Dayan trois télégrammes urgents dans lesquels elle lui demande de rentrer immédiatement à la maison. Elle est elle-même malade et réside chez sa soeur. Dayan est absolument furieux. Il ne peut pas et peut-être ne souhaite pas écouter son séjour aux USA. A son retour il a une explication avec Yael. Elle racontera en détails cet épisode douloureux :
la scène fut courte, douloureuse et instructive sur plusieurs points. Je trouvais mon père dans ma chambre. Mon journal intime qu’il avait apparemment terminé de lire était posé ouvert sur le bureau. Il m’embrassa avec beaucoup de chaleur parce que nous nous étions pas vu depuis longtemps, puis il me gifla avec une telle force que je fut projetée pratiquement à l’autre bout de la chambre. Il jeta mon journal par terre. Je pleurais de douleur.
Yael tente de parler encore avec son père mais il est très troublé et veut mettre fin à la discussion. « De mon point de vue l’affaire est close. » Il propose à Yael de monter voir les robes qu’il lui a achetées en Amérique et qu’elle vérifie qu’elles lui conviennent. Avant qu’ils se séparent il ajoute : « Je t’aime beaucoup mais n’en profite pas. » Dans ses mémoires Yael résume cet épisode par un acte d’accusation non dissimulé : « Il y avait des sujets auxquels Papa ne pouvait pas se dérober mais auxquels il ne voulait pas être confronté. Au lieu de me soutenir il s’était occupé de son cas personnel. Il entendait être lavé de toute accusation et libéré de toute crainte en tant que père. »
Yael est sans doute la « fille de son père » et de ses trois enfants, elle est celle qu’il aime et qu’il accompagne. Il y eut de courtes périodes au cours desquelles ils se conduisit en père dévoué. Ainsi lorsqu’ils habitaient dans leur maison de Nahalal après avoir été blessé à l’oeil, il lui arrivait souvent de s’amuser avec les garçons. Plus tard il emmènera son fils Ouri en excursions et pour des parties de chasse.
Lorsqu’il fut le commandant de Jérusalem, il était parfois absent de la maison pour de courtes périodes mais en général il dirigeait ses affaires de sa maison, ce qui lui laissait du temps pour s’occuper de sa famille. Il aimait bien prendre avec lui ses enfants en tournée sur la ligne de démarcation dans les environs de Jérusalem, dans ces zones abandonnées. Yael racontera que pendant les Shabats, ils partaient tous les cinq en excursion dans les zones inhabitées : « Notre groupe des cinq voyageait en jeep sur des sentiers; nous passions à côté de villages arabes; on grimpait à flanc de montagne et nous trouvions des grenades mures et du raisin sucré comme le miel. Papa avait une passion pour les fruits et toutes ses plantations abandonnées, délaissées, sauvages, étaient autant de nouveaux jardins d’Eden.
Cependant de tels épisodes sont particulièrement rares et de courte durée. Les enfants sont obligés d’accepter leur situation particulière « d’enfants de Dayan », chacun à sa manière et pas toujours avec succès. Dayan est en réalité assez peu intéressé par ses fils. Ses relations avec Yael sont beaucoup plus fortes et intimes.