Fin septembre se produit un coup de théâtre qui va changer de fond en comble le destin du Proche-orient en général et celui d’Israël en particulier. Le 27 de ce mois, Gamal Abdel Nasser annonce la conclusion d’un contrat d’armement entre l’Égypte et la Tchécoslovaquie. Chacun comprend que c’est l’URSS qui manœuvre en coulisse. L’Égypte, jusqu’alors restée dans la zone d’influence occidentale, ouvre les portes du Proche-orient aux communistes. Il s’agit d’un profond bouleversement dans les minutieux équilibres définis dans le cadre de la guerre froide. Les britanniques et les américains sont ébranlés mais ils ravisent rapidement et tentent de réduire l’ampleur des dégâts pour conserver des relations correctes avec Nasser.
Pour Israël ce contrat l’effet d’un tremblement de terre. car il crée une rupture dramatique dans l’équilibre des forces. Depuis la dinde la guerre de 1948, les trois puissances occidentales ont réussi à maintenir un fragile équilibre dans l’approvisionnement en armement lourd des états de la région. D’un coup, un pays arabe s’apprête à recevoir des avions de combat, des bombardiers, des chars, des canons, des contre-torpilleurs et des croiseurs armés de torpilles, en de telles quantités qu’Israël va se trouver en infériorité quantitative et qualitative problématiques. Pire encore, les soviétiques vont livrer aux égyptiens de l’armement d’un niveau technologique auquel Israël n’est absolument pas en mesure de répondre. Le Mig 15, avion de combat soviétique, qui va équiper très vite l’armée de l’Air égyptienne, est capable dévoiler à une vitesse et à une altitude bien supérieures que celles des avions britanniques dépassés possédés par Israël. La porte des canons des chars soviétiques est deux à trois fois supérieure à celles des canons des chars désuets israéliens.
Nasser s’efforce de réduire autant que possible l’impression de renversement d’alliance qui colle à sa nouvelle orientation internationale, en resituant ce contrat d’armes dans le contexte de sa confrontation avec Israël. Ainsi il prétend que l’attaque israélienne contre Gaza à la fin du mois de février 1955 l’a choqué et face à l’agressivité d’Israël et le refus de l’occident de lui fournir des armes, il a décidé de se tourner vers l’URSS. Il a été depuis démontré que l’intérêt des égyptiens pour l’armement soviétique précède l’opération de Tsahal à Gaza. La nouvelle orientation de Nasser est l’une des conséquences de la compétition pour la domination du monde arabe, qui s’est engagée avec la création de l’alliance pro occidentale de Bagdad, au centre de laquelle se trouve le chef de gouvernement irakien Nouri Saïd, principal concurrent de Nasser pour la direction du Proche-Orient. De plus, Nasser s’est pris de passion pour ce que l’on appelle le « neutralisme positif ». En avril 1955, lors de la conférence des pays non-alignés de Bandung en Indonésie, Nasser est apparu comme l’un des leaders du tiers-monde, à côté de l’indien Nehru et du yougoslave Tito. Le neutralisme positif se traduit concrètement par l’abandon de l’axe occidental ou profit de la sphère communiste.
Quelles que soient les motivations de Nasser, le contrat entre la tchécoslovaquie et l’Égypte frappe de stupeur Israël. Au cours des jours qui suivent les choses ne sont pas très claires. Depuis que Ben Gourion est revenu au ministère de la défense au début de l’année, il préside chaque semaine une réunion de son bureau avec le Chef d’État-major Moshé Dayan et le directeur de son ministère Shimon Peres, que Ben Gourion a surnommée son « État-major restreint ». Le lendemain de l’annonce du contrat d’armes se tient la réunion hebdomadaire et le sujet est à l’ordre du jour mais les participants ne disposent pas encore des détails sur l’importance de la transaction et sur les types d’armements qu’elle inclut. La seule conclusion immédiate est pour l’heure d’envoyer en urgence Peres à Paris pour hâter un contrat d’armes qui était en cours de négociation avec les français depuis un certain temps. De son côté Dayan ne voit pas la nécessité d’annuler un voyage d’agrément de quatre semaines en Europe. Ce en quoi Ben Gourion l’approuve : « C’est pour toi le temps des vacances » lui dit-il seulement, l’interrogeant avec un ton badin pour savoir où il a trouvé des devises étrangères.