Une autre évolution apparaît dans la pensée stratégique de Dayan. Il estime qu’en cas de guerre généralisée avec l’Egypte, il se peut que ce pays possède un avantage initial dangereux. SI les forces égyptiennes stationnées dans la bande de Gaza se lancent dans une offensive, elles débuteront la guerre à seulement 70 km de Tel-Aviv. Et comme il l’a dit à l’occasion d’un débat : « ils ne rencontreront personne sur leur chemin, à l’exception d’un couple d’amateurs cueillant des oranges dans un verger. »
A l’Etat-major et en particulier à celui de l’armée de l’Air une doctrine offensive est en train d’émerger depuis plusieurs années, qui est à l’opposé de celle en vigueur au sein de Tsahal depuis la guerre d’indépendance. Cette dernière peut se résumer à deux phases : d’abord contenir l’ennemi puis opérer un mouvement offensive. Dans la perspective d’une nouvelle guerre, les officiers de la planification et les aviateurs affirment qu’israël doit frapper en premier. L’armée de l’Air ne possède que trois aérodromes et une attaque surprise égyptienne au début du conflit pourrait sérieusement entamer la capacité de l’armée de l’Air à appuyer les forces terrestres. Israël doit donc impérativement débuter une guerre future par une attaque préventive.
Dayan estime qu’il faut trouver une occasion de faire sortir les égyptiens de Gaza et de se rendre maitre du carrefour de Rafia’h, situé à la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza. Il convient dans ce secteur de modifier les lignes du cessez le feu en les déplaçant dans une zone permettant à Israël de se défendre. Les historiens rapprochent cette conception de Dayan sur la modification des frontières avec l’Égypte de paroles qu’il prononça en juillet 1950 à l’occasion d’une réunion d’ambassadeurs : « La première phase du processus de création de l’État d’Israël en tant qu’état indépendant n’est toujours pas achevée car nous n’avons pas encore déterminé si la configuration territoriale de l’état est définitive. » Mais en 1955, ses plans militaires se concentrent uniquement sur un changement de la frontière sud. Au cours du printemps et de l’été 1955, il s’emploie à intensifier les répliques de Tsahal aux provocations égyptiennes, et dès l’automne il recherche réellement une confrontation de grande ampleur.
Néanmoins, il faut préciser que la première proposition concrète d’occuper la bande de Gaza fut formulée par David ben Gourion. Le 24 mars 1955 un groupe d’infiltrés venu de la bande de Gaza pénètre jusqu’à Patish, un moshav d’immigrants du Kurdistan dans les environs d’Ofakim. Les infiltrés ouvrent le feu à la mitraillette et lancent des grenades sur le public réuni pour la célébration du mariage d’un des jeunes. Une vingtaine de convives est blessée et Varda Friedman, une volontaire de Kfar Vitkin, qui avait répondu à l’appel de Ben Gourion de venir en aide aux villages des nouveaux immigrants, est tuée. Au cours du conseil des ministres réuni le lendemain de l’attentat, Ben Gourion en colère, propose de conquérir la bande de Gaza mais le Premier Ministre, Moshé Sharett, cristallise une majorité de ministres qui rejette la proposition.
Dans les semaines qui suivent l’attentat, les attaques en provenance de la bande de Gaza se poursuivent, avec la participation à présent d’unités de l’armée égyptienne. Ben Gourion, sachant qu’il est en minorité, ne parle plus de la conquête de la bande de Gaza. Il propose de proclamer que le cessez le feu entre Israël et l’Égypte est nul et non avenu. Cette fois-ci encore, Moshé Sharett réussit à mettre Ben Gourion en minorité lors d’un vote du gouvernement. Les réticences du Chef d’État-major Moshé Dayan à l’égard de la politique du Premier ministre se renforcent encore un peu plus.