Moins d’une semaine après la décision du gouvernement de geler toute initiative offensive, Dayan tente de relancer pour la dernière fois le processus de « dégradation ». Depuis des années les pêcheurs israéliens du lac de Tibériade sont la cible de tirs venant des positions syriennes situées sur la rive nord-est du lac. Au début du mois de décembre, aucun incident grave n’est à déplorer qui justifierait un raid de représailles israélien. Mais Dayan croit que dans ce secteur, il peut actionner le détonateur qu’il tente en vain de trouver depuis longtemps dans le sud, et qui pourrait entrainer Nasser à intervenir massivement. Comme nous l’avons déjà précisé, au mois d’octobre, Nasser a conclu une alliance défensive avec la Syrie et a déjà manifesté son engagement par rapport à cette alliance en attaquant la garde israélienne à Be’erotayim. Selon Dayan, une attaque sérieuse contre l’armée syrienne sur le lac de Tibériade pourrait pousser Nasser à s’expliquer avec Israël dans le Sinaï.
Il est difficile de comprendre pourquoi Ben Gourion accepte la proposition de Dayan alors que le plan proposé se trouve en contradiction totale avec la décision du gouvernement. Il n’existe aucun témoignage qui permette d’affirmer que le sujet ait été beaucoup discuté entre les deux. On peut supposer qu’il a voulu apaiser la déception du haut commandement de l’armée suite à la décision de gel des raids et qu’ils sous-estimé le scandale national et international que l’opération allait générer. On sait qu’au dernier moment il a même donner son accord pour un élargissement de l’opération à tous les secteurs de la rive du lac sous souveraineté syrienne.
Dans la nuit du 10 au 11 décembre, une brigade commandée par Arik Sharon envahit des positions syriennes, les détruit toutes, tue 37 soldats et 12 civils, et fait plus de 30 prisonniers. Dayan est présent sur les rives du lac de Tibériade pour rencontrer les soldats près de Ein Guev à la frontière avec la Syrie. Ils reviennent avec de grandes quantités d’armes et de véhicules. Six soldats israéliens sont morts au cours du combat, dont Its’hak Ben Mena’hem, fameux commandant de compagnie, surnommé Gulliver en raisons de sa taille. Malgré l’importance des pertes, cette opération est considérée comme l’une des plus hardies, brillantes et réussies menées par Tsahal.
Pourtant c’est un orage politique qui éclate. Le lendemain, le ministre des affaires étrangères, Moshé Sharett, est supposé rencontrer le secrétaire d’État Dulles. Celui-ci avait laissé entendre qu’il aurait l’intention de livrer des quantités limitées d’armes à Israël. Mais informé de l’attaque au lac de Tibériade, il annule la rencontre. Pour Sharett, cette opération représente un coup de poignard dans le dos et il traduit sa fureur dans son journal intime : « Mon univers s’est obscurci; l’affaire de l’armement est foutue; j’en frémis; j’avais averti qu’une opération de représailles anéantirait toute livraison d’armes; A nouveau cette impression de vouloir verser du sang et de provoquer militairement ». Et dans un télégramme qu’il adresse à son directeur du ministère, il écrit : « Il ne s’était rien déroulé d’aussi horrible en Israël. »
Le scandale éclate en Israël et la presse est très critique. Les ministres du gouvernement sont en colère, d’une part parce que l’action est clairement en opposition avec la décision du 4 décembre, et d’autre part parce Ben Gourion n’a consulté aucun d’entre eux. Suite à l’opération, le gouvernement décide qu’à l’avenir il devra donner son autorisation à tout raide de représailles. Ben Gourion approuve cette décision, au moins pour apaiser la colère des ministres même si elle s’apparente pour lui à une gifle cinglante.
Si personne ne comprend les motivations de Ben Gourion, ils sont nombreux en Israël à soupçonner que l’élargissement dramatique de l’opération est de la seule initiative de Dayan. Ben Gourion prend la défense de Dayan et de l’armée mais il est évident que lui aussi a été surpris. Le lendemain de l’opération, Dayan et Sharon vont à Jérusalem pour rencontrer Ben Gourion et Dayan lui raconte ce qui s’est passé. Il constate que Ben Gourion n’est pas satisfait par le fait que l’opération est aussi bien réussie. Interrogé deux jours plus tard pour savoir ce que l’armée devait faire à présent, Ben Gourion répond simplement : « L’armée doit maintenant être prête pour une attaque égyptienne. L’armée doit planifier ses opérations face à une attaque égyptienne qui peut intervenir dans le prochains mois, au printemps, à l’été ou plutôt. » Financement le 6 janvier 1956, le gouvernement décide de mettre au rancart l’opération sur Tiran. Dayan ordonne l’arrêt des préparatifs et démobilise les nombreux soldats rassemblés pour l’opération.