Le 23 octobre Dayan et Ben Gourion se rencontrent pour une discussion entre trois yeux dans une chambre d’un hôtel de Jérusalem où séjourne le Premier ministre pendant sa convalescence. Ils débattent de la politique de défense appropriée à la suite du contrat d’armement de l’Égypte. Aucun protocole n’est rédigé de cette rencontre mais à son retour à l’État-major, Dayan réunit son adjoint Laskov et le chef des renseignements militaires Yéhoshafat Harkabi pour leur rendre compte de son entretien avec le ministre de la défense et des directives qu’il a reçues.
Ben Gourion s’oppose à l’idée d’une guerre préventive. Il pense que les grandes puissances n’accepteront pas une telle initiative, en particulier le Royaume-uni qui serait dans l’obligation de respecter les alliances contractées avec plusieurs pays arabes en attaquant Israël. Néanmoins il partage l’avis de Dayan qu’Israël doit s’en tenir à ses intérêts même si cela l’oblige à employer la force pour cela, et même si l’Égypte réplique par une guerre de grande ampleur. Si cela devait se produire cela serait l’occasion de frapper l’armée égyptienne sans être perçu comme l’agresseur. En réalité il s’agit d’une politique susceptible de conduire très consciemment à une guerre totale. Selon les propos de Dayan, Ben Gourion lui a ordonné de planifier la conquête de la bande de Gaza et de l’est du Sinaï si les égyptiens réagissent trop fermement aux opérations de Tsahal.
Auparavant, le 12 septembre les égyptiens avaient à nouveau confirmé leur déclaration antérieure selon laquelle le détroit de Tiran se trouvait dans leurs eaux territoriales et qu’ils imposaient un blocus visant les navires à destination d’Eilat et les avions israéliens survolant cette zone. Cette revendication égyptienne viole les lois internationales, ce qui permet à Ben Gourion de conclure qu’Israël a le droit de lancer une action préventive. En complément des actions limitées déjà proposées par Dayan, Ben Gourion ordonne de préparer une opération visant à prendre le contrôle de Sharm el-Cheikh et à mettre fin au blocus.
Dayan interprète les directives du ministre de la défense comme un feu vert pour développer une stratégie de la « dégradation progressive » permettant dans le but d’entrainer l’Égypte dans un conflit : Selon Dayan, des provocations limitées mais suffisamment importantes pourront pousser Nasser à la faute sans que la responsabilité du déclenchement de la confrontation puisse être clairement imputée à Israël. Ce raisonnement se fonde sur l’estimation que dès l’été 1956 l’armée égyptienne aura achevé l’intégration de son nouvel armement, que Nasser ne devrait pas patienter jusqu’à ce qu’Israël obtienne un armement équivalent, qu’il profiterait donc de la première occasion pour attaquer. Il convient donc d’appliquer cette stratégie le plus tôt possible et avant que le rapport des forces soit tellement défavorable à Israël qu’il ne sera plus possible de le rééquilibrer.
Dayan réunit l’État-major et ordonne de se préparer à la guerre. Toutes les permissions de longue durée et les formations de perfectionnement des officiers en Israël ou à l’étranger sont annulées. Les soldats du Na’hal supposés passer l’année à venir à travailler à la ferme sont maintenus dans leurs unités combattantes. Les entrainements des soldats de réserve et de leurs officiers sont accélérées. Dayan propose même à Ben Gourion de rappeler les généraux Ygal Yadin et Mordekhaï Maklef, deux de ses prédécesseurs. Ben Gourion rejette cette proposition, rejet qui es interprété comme un soutien total envers Dayan. La machine de met en branle et une certaine frénésie s’empare de Tsahal qui commence à gonfler ses muscles. Dayan connait bien Ben Gourion et bien qu’il porte des Gvourot et qu’il prononce des discours agressifs à la Knesset, il sait que dans son fort intérieur Ben Gourion a encore des doutes pour tout ce qui concerne une attaque de grande ampleur. Quelques jours après qu’il ait donné l’ordre de préparer la prise de Sharm el-Cheikh, il dit avec un clin d’oei à ‘Haïm Israeli, le secrétaire de Ben Gourion : « En vérité, il ne veut pas cela. » Il prophétise sans le savoir.