La rencontre avec l’antique passé

Moshé Dayan est depuis son adolescence un chasseur amateur. Il aime chasser la perdrix et la colombe sauvage à partir desquelles il prépare des petits plats. La région sud et principalement la ceinture d’Adoulam située dans la partie septentrionale, constitue une bonne zone de chasse, et plus d’une fois il revient de ses tournées avec des colombes sauvages dans sa voiture. Son amour de la chasse va lui faire découvrir un nouvel univers.

Ygael Yadin

Au cours d’un chabat il part avec son fils Oudi chasser les pigeons dans les collines en marge des monts d’hebron. En chemin, ils longent Tell es-Safi, des ruines de Gath, une ville de l’époque biblique dont certains vestiges ont été mis à nu pas des pluies torrentielles. Sur le bord de pierres escarpé de la rivière, les inondations ont fait émerger des cruches entières comme à leur premier jour. Dayan n’a pas besoin de creuser longuement pour extraire quelques cruches du bord. Il pense qu’il s’agit de cruche de fella’h arabes qui habitent dans les environs, mais le chef d’État major, Ygael Yadin, archéologue professionnel, lui explique que ce sont des cruches de l’époque du royaume de Juda du IXème ou du VIIIème siècle avant Jésus-Christ.

Dayan retourne sur le site au cours des shabbats suivants. Cette fois il est équipé d’une pelle et met à jour une grande variété d’objets. Il est très ému. C’est une expérience fondamentale dans sa vie, et dans ses mémoires il la décrira ainsi :

Ce fut m’a première rencontre intime avec l’ancien Israël. Cela me fit découvrir un monde nouveau, souterrain, une vie d’il y a 3.000 années. Un tableau exceptionnel, caché, secret, sous les routes, les maisons, les champs et les arbres, dans les localités de la Palestine et de Canaan, de Judée et de de Samarie, l’Israël âgé de milliers d’années.

Cette rencontre avec le passé éveille en Dayan une obsession incontrôlée. Par la suite il consacrera de nombreuses heures à fouiller à la recherche d’objets antiques enfouis dans diverses collines d’Israël, ou à coller entre eux des débris d’objets dans le jardin de sa maison. Dayan expliquera cet engouement à la fin de sa vie :

Le Lys (ou Narcisse) du Sharon

Pour moi, qui étais né en Israël, l’amour de la patrie n’était pas un amour abstrait. Le lys du Sharon et le mont carmel étaient vraiment une fleur dégageant un parfum et une montagne dont mes pieds avaient parcouru les sentiers. Cependant, l’Israël que je voyais de mes yeux et je touchais de mes mains ne me suffisaient pas. J’étais avide de l’Israël antique, de l’Israël des noms et des versets. Face à moi, ce n’était pas simplement le Kishon qui traversait les champs de Nahalal, mais également le Kishon, l’antique rivière, qui avait entrainé l’armée de Sissera (ndlt : Livre des juges, chapitre 4). Si mes parents venus de la diaspora, avaient désiré transformer la terre d’Israël spirituelle décrite dans les livres en une patrie bien réelle, je voulais de mon côté apporter à ma patrie réelle une épaisseur spirituelle et historique, redonner l’âme du passé aux ruines et aux collines désolées, faire revivre l’Israël du temps des patriarches, des juges et des rois.

Ses fouilles ne sont pas vraiment légales et Dayan est la cible de nombreuses critiques. Mais il ne résiste pas à la tentation ou peut-être que ces critiques ne le touchent pas beaucoup. Cette avidité le possèdera toute sa vie et il accumulera une collection archéologique riche et rare, qui après sa mort, sera transmise au musée de Jérusalem.

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Développer le sud

En tant que commandant de la région sud, Dayan concentre une grande part de son attention aux affaires civiles. Ces années sont une période record d’intégration de l’Alyah de masse dans l’histoire d’Israël. Un petit nombre d’immigrants sont accueillis dans les villes arabes qui demeuraient vides de presque tous leurs habitants après la guerre, et les nombreux autres immigrants sont dispersés dans les localités à travers tout le pays. Dans les territoires sous le commandement de Dayan, il n’existe que peu de municipalités. En plus de Majdal, il n’y a que Beer Shéva, le centre du pouvoir ottoman puis des anglais dans le Neguev, un centre commercial pauvre et pitoyable pour les tribus bédouines. La majorité des nouvelles localités du sud se consacrent à l’agriculture. Quand Dayan arrive à son poste de commandant de la région, il n’y a là qu’une douzaine de petits kibboutz créés par l’Agence juive au temps du mandat britannique. La région demeure pour l’essentiel vide et déserte. Dayan comprend que la défense de cet espace n’est pas que l’affaire des militaires. Recouvrir la région de nombreuses localités prospères permettrait avec le temps de lui apporter le niveau de sécurité souhaité. Il accorde à cette ambition un haut degré de priorité.

Une ma’abara, un campement « provisoire » de tentes et de cabanes

Environ 6.000 familles se sont installées dans la région sud, réparties en quinze campements provisoires. Ce sont des forets de tentes à la merci des caprices de la nature. la chaleur exténuante de l’été et le violentes tempêtes en hiver. L’armée entreprend de venir en aide au immigrants dans tous les domaines de la vie. Le génie aménage des routes et des rues, et draine les eaux de pluie qui inondent le sol des tentes. De nombreux soldats sont chargés de l’enseignement dans les campements. Les transmissions mettent à disposition des téléphones et des installations de communication. Quand les routes sont coupées, l’armée approvisionne les immigrants en produits élémentaires de base. Des médecins et des infirmières militaires soignent les nombreux malades qui souffrent d’épidémies qui se propagent dans les campements. Dans plusieurs d’entre eux, ce sont les officiers de l’armée qui sont obligés de prendre en main la direction complète des lieux.

Moshé Dayan en 1956 à l’enterrement d’un défenseur du kibboutz tué par des infiltrés provenant de Gaza.

Dayan encourage aussi la création de kibboutz près de la frontière sachant que des ceintures de localités renforceront immédiatement la frontière Le mouvement des kibboutz a fondé des points de peuplement le long de la bande de Gaza, sur les flancs des collines d’Hébron et dans l’Arava. L’un d’entre eux s’appelle Na’hal oz, fondé à quelques centaines de mètres de la frontière sur la route reliant Gaza à Béer Shéva. Dayan les visitera à de nombreuses reprises.

Le premier ministre David Ben Gourion participe à l’installation de barbelés de protection à Mivta’hlm en 1956.

Cependant le nombre d’immigrants acceptant de vivre dans des kibboutz est très faible. La majorité n’est pas favorable à la vie collectiviste. Dayan comprend qu’une organisation de type coopérative que défend le mouvement des moshavim et au sein de laquelle il a grandi, conviendrait mieux. Il commence à faire pression sur les institutions en charge du peuplement afin qu’elles créent des localités pour immigrants aussi nombreuses que possible dans toute la région sous son commandement. C’est ainsi qu’en 1950 est créé, face à la bande de Gaza, le moshav Mivta’him, par des immigrants du Kurdistan arrivés en Israel quelques moins plus tôt. Si Mivta’him est de nos jours un moshav prospère qui exporte ses fleurs et ses légumes vers les marchés européens, il eut à souffrir à ses débuts d’attaques d’infiltrés, d’explosions de mines posées sur les routes poussiéreuses. Ses habitants souffrent également du manque d’expérience et de connaissances dans les domaines de l’agriculture. Ils ont besoin d’un support conséquent de la part du commandant de la région, enfant du premier moshav d’Israël. Dayan est convaincu que le pays deviendra la propriété de l’État juif qu’à la condition que toutes les terres jusqu’aux frontières soient labourées, ensemencées et qu’elles produisent des fruits, des céréales et des tomates.

 

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Une vie de famille réorganisée

La famille Dayan dans les années 50s

Le poste de commandement de Dayan est voisin de Qastina, un camp militaire rapidement construit par les britanniques pendant la seconde guerre mondiale. Il ne se trouve dans les environs aucun espace convenable pour accueillir les familles des officiers. Pour le moment Dayan décide de laisser sa femme Ruth et ses enfants dans leur splendide maison de Jérusalem. Les enfants se sont à présent habitués à leur école en ville et Ruth a entamé l’oeuvre de sa vie : la sauvegarde des talents et des savoirs artisanaux des immigrants venus des pays orientaux qu’elle voudrait adapter au marché israélien. Elle passe dans toutes les localités d’intégration à la recherche de femmes et d’hommes qui pratiquent le tissage de tapis, l’orfèvrerie et la broderie, tels qu’ils les pratiquaient dans leur pays d’origine. Elle pense qu’ils seront capables de façonner des vêtements, des bijoux et des articles de ménagers qu’ils vendront sur les marchés du luxe israélien afin de pouvoir nourrir leur famille.

Dayan est de nouveau souvent absent de la maison et Ruth est très occupée de son côté. Sim’ha est en charge de l’intendance de la maison. Enfant, Sim’ha a immigré en Israël venant du Kurdistan dans les années 30. Elle fondera plus tard une famille à Jérusalem. Sim’ha n’est pas instruite mais sait beaucoup de choses. Elle est énergique et particulièrement intelligente. Elle restera longtemps au service de la famille Dayan. Certains prétendront que la seule personne dont Dayan avait peur était Sim’ha. Dans son livre, Yaël Dayan a écrit :  » Je ne me souviens pas que mon père se soit comporté envers quelqu’un avec autant de respect et d’obéissance soumise que ce qu’il fit envers Sim’ha. » La vie des enfants et celle de Sim’ha s’entrelacent et elle devient rapidement une composante indissociable de la famille.

 

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Formation britannique

Au début de l’année 1952, Dayan est envoyé en Angleterre pour suivre une formation d’officier supérieur. Cette formation dure trois mois et représente l’un des signaux du dégel des relations entre l’État d’Israël et le Royaume-uni, relations qui s’étaient très dégradées à la fin du mandat britannique sur la Palestine. Des officiers d’autres pays participent à cette formation  et Dayan sympathise facilement avec eux. Les officiers britanniques se montrent nettement moins chaleureux. Quelqu’uns ont servi en Palestine au temps de la lutte des juifs contre le mandat britannique et ils conservent des souvenirs déplorables de leurs relations avec les juifs. Cependant le sens de l’humour de Dayan et son attitude anticonformiste l’aident à se faire apprécier par quelques britanniques imperturbables. Son anglais est à présent très correct et ses tristes souvenirs de sa présence à Londres après son mariage, seize années plus tôt, se dont évanouis. Dayan apprécie particulièrement la prévenance dont faire preuve la Grande-Bretagne à son égard en tant qu’officier : il a à sa disposition un domestique personnel qui lui apporte du thé chaque matin et astique ses souliers chaque soir.

Il passe les lois week-ends en compagnie de Ruth qui l’a accompagné et qui séjourne dans son Londres bien-aimé. Quand le le roi Georges VI décède, le week-end est prolongé par les cérémonies funèbres officielles auxquelles Dayan ne participe pas, se contentant de porter un brassard noir à son bras. Dans le dossier conservé aux archives de Tsahal se trouvent les cahiers de Dayan et les observations de ses instructeurs. On comprend qu’il a étudié sérieusement et avec application. Il ne fait aucun doute que son expérience au combat et de commandement lui ont attiré l’estime de ses instructeurs.

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Commandant du front nord

Mordékhaï Maklef, 3ème chef d’Etat-major de Tsahal à l’âge de 32 ans.

Le 1er juin 1952, Moshé et Ruth reviennent d’Angleterre et Dayan est nommé commandant du front nord. Dans un premier temps le chef d’État major, Ygal Yadin lui avait proposé le poste de Chef d’État-major adjoint en remplacement de Mordekhaï Maklef qui partait en formation. Malgré l’estime qu’il porte à Yadin, Dayan repousse la proposition en expliquant qu’être adjoint ne correspond pas à son tempérament. Il n’a pas de problème à se soumettre, même lorsqu’il est partagé sur ce qu’il pense de ses supérieurs. Mais comme adjoint il ne pourra pas exprimer ses opinions et il lui sera difficile de représenter le Chef d’État-major sur les dossiers pour lesquels il considère que son supérieur se trompe. Yadin n’insiste pas et l’envoie prendre le commandement de la région nord; mais dès lors il est évident que tôt ou tard Dayan retrouvera le chemin de l’État-major.

Les généraux de Tsahal sont pour la plupart plus âgés que Dayan d’une dizaine d’années. Ils appartiennent à l’ancienne génération des dirigeants de la Haganah et sont à présent en fin de carrière militaire. C’est l’époque où les officiers supérieurs issus des rangs du Palma’h quittent l’armée. Le seul à rester est Its’hak Rabin dont Ben Gourion freine l’avancée parce qu’il ne partage pas ses convictions politiques. Ceux qui restent sont les jeunes qui occuperont des positions clef dans l’armée qu’à partir des années 60. Dayan est à présent la personnalité qui émerge des rangs des officiers de sa génération et il est un candidat naturel pour jouer un rôle central. Sa fidélité totale à Ben Gourion et à a ligne politique l’aide sans doute à gravir rapidement les échelons.

Kyriat Tiv’on, agglomération qui englobe Tiv’on.

Le refus de Dayan d’occuper la fonction d’adjoint au Chef d’État-major ne retard son ascension que d’une seule année. Pour l’instant Dayan déménage avec sa famille dans la région nord. Il ne retourne pas à sa ferme de Nahalal car il a depuis longtemps tournée la page de son vie paysanne. On met à sa disposition un appartement spacieux à Tiv’on, une localité entre ‘Haïfa et Nazareth. sa fille Yael étudie dans une institution prestigieuse, l’école hébraïque Réali de ‘Haïfa.

Dans le nord, Dayan est confronté aux mêmes difficultés que celles qu’il a du affrontées dans le sud : l’infiltration de réfugiés palestiniens provenant des camps du Liban et de Syrie d’une part et les localités de nouveaux immigrants d’autre part. Cette région nord si familière à Dayan depuis son enfance est bien plus peuplée et elle inclut une importante population palestinienne, rurale et urbaine. À la fin du conflit de 1948, plus de 100.000 arabes étaient restés en Galilée. Son poste de commandement se trouve au coeur de Nazareth, la pus grande ville arabe d’Israël. Il a sous sa responsabilité environ une centaine de villages et trois centres urbains arabes.

Un gouvernement militaire est mis en place afin de resserrer la surveillance de ces populations, qui ne combattent plus les juifs mais dont la loyauté à l’égard de l’État est sujette à cautions. Ce gouvernement impose leur impose différentes restrictions. La vie des citoyens est dirigée par des officiers aux ordres du commandant de la région. Le gouvernement militaire est haï des arabes et engendre une grande amertume. À la fin des années 50, Dayan arrivera à la conclusion que le temps est venu d’y mettre un terme et rendre possible l’intégration des arabes à la vie de l’État en tant que que citoyens normaux. Mais en tant que commandant du front nord, il estime qu’il s’agit d’un outil nécessaire pour gouverner une population hostile susceptible de servir de cinquième colonne en tant de guerre. Il n’émet pas à cette époque de réserves à propos des expropriations de terres arabes au profit de localités juives.

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Les syriens

Le lac du ‘Houleh en Haute-Galilée

Les relations compliquées avec les syriens constituent un autre sujet de préoccupation pour Dayan, commandant du front nord. Ralph Bunche, le délégué de l’ONU en charge des négociations entre syriens et israéliens à propos du cessez le feu, avait laissé plusieurs questions en attente de réponses définitives et qui étaient sujettes à des interprétations divergentes comme le droit des citoyens syriens à pécher dans le lac de Tibériade, le droit des israéliens à développer des zones définies comme démilitarisées, le droit à exploiter les eaux du Jourdain. Ces questions allaient tracasser les deux camps pendant de nombreuses années.

Le général Salah Jedid, leader de facto de la Syrie de 1966 à 1970, écarté par Hafez El Assad

Dayan ne revient pas sur la décision d’assécher le lac du ‘Houlé et sur la réalisation le plus tôt possible de l’ambitieux programme visant à détourner les eaux du Jourdain vers le Neguev aride. Il utilise son aptitude à aplanir les difficultés par des contacts directs avec les syriens comme il s’y était employé avec succès à Jérusalem. Il tisse des liens avec Salah Jadid, l’officier supérieur syrien qui participait à la commission sur le cessez le feu et futur dirigeant de la Syrie. Mais cette fois-ci le charme de Dayan ne fonctionne pas. Les syriens sont beaucoup plus durs et présentent des exigences intransigeantes. L’unique point sur lequel un accord est trouvé consiste à terminer les rencontres par un déjeuner qui se déroule dans une atmosphère agréable et cordiale. Les problèmes qui ne trouvent pas de solutions s’aggraveront au cours des années et paveront dans les années 60 la voie qui conduira à la guerre des 6 jours.

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Le numéro 2

Dayan n’exerce pas longtemps la fonction de commandant du front nord. Fin 1952, une crise éclate au sein du commandement supérieur de Tsahal. Le premier ministre David Ben Gourion veut consacrer le maximum de ressources à l’intégration des immigrants et au peuplement des vastes zones inhabitées. Il décide alors de coupes drastiques dans le budget de la défense. Il exige du Chef d’État-major qu’il congédie plusieurs milliers de militaires de carrière et d’employés civils de l’administration militaire.Estimant que la réduction est trop brutale et qu’elle menace la sécurité du pays, Ygal Yadin démissionne. Son adjoint, Morde’haï Maklef accepte d’être nommé Chef d’État-major mais pour une année seulement. Dayan maintient son refus d’être nommé adjoint mais accepte le poste de numéro 2 dans la hiérarchie de Tsahal, celui de chef des opérations.

A ce nouveau poste, Dayan est en charge des opérations, de la planification, de la formation et des renseignements de Tsahal. Ils sont nombreux à être surpris par la nomination de celui qui possède une image de rustre, d’indiscipliné, voire de plouc décomplexé. Beaucoup le considèrent comme imprévisible. Dayan ne craint pas de changer d’avis et souvent il surprend son entourage par ce qui leur semble être des contradictions. « Seuls les ânes ne changent pas d’avis » a-t-il l’habitude de dire en souriant, sans pourtant dissiper le sentiment de malaise aussi bien parmi ses subordonnés que parmi ses supérieurs. Cette image qu’on a de lui est alimentée par des histoires que l’on raconte sur ce qu’il a fait ou n’a pas fait, mais elle résulte aussi du fait qu’il restera toujours un loup solitaire. Il n’aura jamais au sein de l’armée des cercles de fidèles ou de proches et il ne bénéficiera d’aucun appui du pouvoir politique à l’exception de David Ben Gourion qui croit en lui et facilite son avancement. Il bénéficiera d’une estime certaine que lorsqu’il arrivera au sommet de la hiérarchie militaire, sans jamais arriver à effacer cette image d’homme sans retenue.

Le 7 décembre 1952, Dayan se présente dans les bureaux de l’État-major à Ramat Gan. Celui qui est perçu comme indifférent aux autres noue des relations chaleureuses et informelles avec les personnes qui travaillent chaque jour avec lui. Il a avec trois d’entre elles des relations particulièrement étroites : le directeur du bureau du Chef d’État-major qui l’aidera dans l’exercice de ses fonctions, sa secrétaire, une femme lieutenant qui est gère son bureau et son chauffeur qui lui est très dévoué. Ce petit groupe est intégré au cercle familial de Dayan et est autorisé à venir dans sa maison même sans y être invité. Il n’a aucun secret pour ces trois-là, y compris pour les affaires les plus intimes. Dayan les autorise à ouvrir toutes les lettres, même celles sur lesquelles est inscrite la mention « Pour le destinataire seulement » ou « Très personnel ». « Je n’ai pas l’intention de gérer un dossier personnel » explique-t-il à ses collaborateurs. Il se fie totalement à la discrétion des trois ainsi qu’à leurs successeurs quand ils seront remplacés au fil des années.

Le Général Shlomo Gazit. Son frère Mordechai Gazit fut ambassadeur en France de 1976 à 1979.

Shlomo Gazit est le chef de bureau de Dayan lorsqu’il est chef des opérations. Gazit est un vétéran de la brigade Harel et a participé aux combats dans les hauteurs de Judée pendant la guerre d’indépendance. Au commencement de sa carrière militaire, il a été l’un des éditorialistes du bimensuel Ma’arakhot où il s’est fait remarquer pour ses talents littéraires, sa vaste culture et son intelligence aigue. Nommé par son prédécesseur, Mordekhaï Maklef, Dayan le maintient à son poste. Gazit racontera qu’au début il s’inquiétait beaucoup de ce changement, tant Maklef et Dayan étaient des personnalités très différentes. Mais rapidement Dayan prend la mesure de son intelligence et de son intégrité et le maintiendra à ce poste jusqu’à sa nomination à la tête du bataillon 51 de la brigade Golani. Il travailla à nouveau pendant plusieurs années aux côtés de Dayan lorsque celui-ci devint ministre de la défense. Il acheva une carrière impressionnante au sein de Tsahal avec le grade de général à la tête de l’Aman, les renseignements militaires.

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La garde rapprochée

Comme cela arrive fréquemment à l’armée, les officiers du bureau de Dayan souhaitent obtenir un avancement dans leur carrière militaire et sont remplacés chaque année ou tous les deux ans. Il en va de même des secrétaires. Mais Noam le chauffeur restera à son service pendant tout le temps que Dayan passera à l’État-major. Noam avait combattu durant la guerre d’indépendance, y avait été blessé et souffrait depuis d’un léger handicap. Il avait trouvé un job de chauffeur à l’État-major et avait roulé sa bosse jusqu’au bureau du chef d’État-major. L’habile chauffeur est particulièrement taciturne vénère Dayan, et est prêt à tous les efforts pour lui rendre service.

Mais il semble que de toute cette petite équipe, c’est à la personne de Néoura Matlon (Matlon-Berna’h après son mariage) que Dayan se sent le plus lié. Elle avait suivi un cours d’officier à la fin de son service militaire puis avait été transférée au bureau du chef des opérations  avec sur ses épaulettes le grade de sous-lieutenant. Néoura est une jeune femme rousse, élevée dans un kibboutz proche de Nahalal, intelligente et d’une intégrité extraordinaire. Sa fidélité et son affection pour Dayan sont très fortes ce qui ne l’empeche pas d’être critique à son égard et d’exprimer clairement et plus d’une fois son opinion en face à face. Bien qu’elle orientera la suite de sa carrière vers les soins médicaux, qu’elle fondera une famille sympathique, elle reviendra et se portera volontaire pour être aux côtés de Dayan lors des périodes importantes de sa vie et jusqu’à sa disparition. Plus tard, Néoura rassemblera ses souvenirs dans un livre saisissant « une bonne place de côté ». On découvre dans ce livre quelques unes des meilleures évocations de Dayan, de sa vie au quotidien. Au début du livre elle décrit ses premières impressions lorsqu’elle pénétra pour la première fois dans son bureau :

Le bureau du chef des opérations ressemblait à une tente d’un poste de commandement au milieu d’un campement militaire. Des tables et des chaises étaient dans un état lamentable. Le commandant se comportait comme s’il était sur le front. Il arrivait le matin avec des vêtements propres et repassés mais dès la mi-journée il ressemblait à un soldat revenant d’un entraînement /// problème page 88 #.

Elle ajoute plus loin :

L’île bureau de Moshé Dayan etait spacieux mais presque vide. Il était assis au bout d’une table de campagne recouverte d’une couverture militaire et un plateau de verre posé par dessus. A son arrivée à l’État-major il s’était débarrassé de la magnifique table de conférence ete des chaises qui l’accompagnaient. En conséquence, avant chaque réunion incluant de nombreux participants, il fallait récupérer des tréteaux et placer dessus des plateaux en bois, les recouvrir avec des couvertures militairses et ajouter des chaises défraîchies. A la fin de la réunion, nous exécutions le travail inverse jusqu’à l’entrepôt au bout du bureau.

Shabtai Teveth avec Moshé Dayan et David Ben Gourion en 1972 pour la sortie de sa bibliographie.

À cette époque Dayan entreprend de créer autour de sa personne une ambiance débarrassée de tout formalisme et pouvant aller jusqu’à l’espièglerie. Il prend ses repas dans la salle à manger des officiers et non à son bureau, à l’inverse de ses prédécesseurs. Il Afin de profiter de quelques rayons de soleil, il n’hésite pas à entamer des rencontrer dans les escaliers de ses bureaux. Le biographe de son début de carrière, Shabtai Teveth, raconte que Dayan avait l’habitude de chopper des oranges dans les vergers qu’il traversait et de les offrir à ceux qui l’accompagnaient. Un jour, alors qu’il revient à l’État-major avec deux oranges dans les mains, il les lance à l’officier de garde qui lève la main pour le saluer et lui crie : « attrape ! ». Teveth ajoute et commente : « Dayan affirmait sa présence par de tels gestes. » Et de fait, les premiers mois passés, quand les commentaires médisants à l’encontre de ce chef des opérations un peu bizarre s’estompent, Dayan ne ressent plus le besoin de marquer son territoire. Les réunions se déroulent dans son bureau, il ne jette plus d’oranges aux soldats en faction et il finit même par accepter de passer en revue la garde lors de ses visites des unités sur le terrain.

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Réorganisation de Tsahal

Les années qui précèdent l’arrivée de Dayan à l’État-major sont des années de médiocrités pour ce qui touche aux opérations militaires de Tsahal. En 1949, la génération qui avait fourni les contingents des brigades de Tsahal pendant la guerre d’indépendance, avait été démobilisée. Les rangs de l’armée se composent à présent d’immigrants de fraiche date arrivés dans le pays quelques mois avant leur incorporation. L’encadrement professionnel, la logistique et les unités techniques qui requièrent un haut niveau d’éducation passent aux mains de bacheliers nés dans le pays. Par ailleurs le niveau des unités combattantes reste médiocre. Durant les trois années qui suivent la fin de la guerre, Tsahal connait de nombreux revers. Ainsi au cours d’une de ces opérations, un bataillon entier ne partie pas à venir à bout d’une petite unité de miliciens locaux. Il se retire immédiatement dès qu’on lui tire dessus et l’un de ses soldats est tué. Même un bataillon de parachutistes, considéré pourtant comme une unité d’élite, connait plusieurs échecs. D’autres formations ne sont pas à la hauteur. C’est le cas d’une bâtiment des garde-côtes de la marine qui s’échoue sur la côte de l’Arabie Saoudite dans le Golfe d’Eilat. On doit faire exploser le bateau et récupérer l’équipage avec des avions de tourisme qui atterrissent sur une page déserte.

Meïr Amit, futur chef du Mossad dans les années 60s.

Dayan comprend qu’une transformation radicale de Tsahal est désormais nécessaire pour en faire une véritable armée combattante. Une telle transformation implique des changements personnels et organisationnels, à commencer par l’état d’esprit qui règne au sein du commandement.Et cela ne saurait être réalisé uniquement par des déclarations et des discours. Il doit donner personnellement l’exemple et accomplir des gestes qui seront rapidement connus dans toute l’armée et qui indiqueront dans quel sens se fait le changement. Il commence par transformer son bureau pour qu’il ressemble à un poste de commandement sur le terrain et non à celui d’un directeur de banque. Il renonce également à son aide de camp personnel, fonction essentiellement protocolaire, et au début de sa carrière il voyagera dans un jeep plutôt que dans une splendide voiture de fonction. Il passe l’essentiel de son temps en tournée sur le terrain pour visiter des unités. Depuis toujours il déteste les longs débats dans des bureaux climatisés. Il écoute ceux auxquels il ne peut se soustraire et il délègue une bonne partie de ses pouvoirs aux chefs de départements de l’État-major sous la direction de Meïr Amit qui lui succèdera comme chef des opérations.

Afin de concentrer les efforts de l’armée sur ses missions de combat, Dayan décide de transférer les services que le ministère de La Défense ou que d’auteurs administrations peuvent prendre sous leur responsabilité, avec le même niveau d’efficacité. L’hôpital militaire central devient un hôpital civil; toutes les activités de construction, de stockage et d’entretien des véhicules civils passent au ministère de La Défense; d’autres activités sont confiées à des entreprises civiles. Cela permet de se séparer de milliers d’employés civils travaillant pour l’armée et d’autres centaines d’emplois permanents mais non essentiels. Dayan et ses officiers estiment qu’une guerre à grande échelle est très peu probable dans les prochaines années et qu’en conséquence c’est le bon moment pour lancer des programmes de préparation qui renforceront les capacités militaires de Tsahal sur le long terme, au détriment des programmes en cours qui visent au maintien du niveau actuel. L’acquisition d’un armement moderne nécessaire à la guerre passera avant l’amélioration des conditions de vie du personnel militaire.

Moshé Dayan en 1953

À cette époque la chorale du Na’hal chante un refrain que de nombreux israéliens connaissent : « Des canons et non des chaussettes, des chars et non des souliers. » Afin de développer l’esprit combattif, Dayan insiste auprès des officiers de l’armée : « Les explications d’un commandant d’unité qui n’aura pas accompli sa mission qui lui aurait été assignée, parce qu’il n’aura pas réussi à venir à bout des forces ennemies, ne sauront plus acceptées, sauf si au moins 50% de ses hommes ont été touchés. »

Dans l’article qui est publié en son nom par l’hebdomadaire BaMa’hané, il écrit : « Le commandant n’est pas l’élément le plus précieux de son unité dont il faudrait s’assurer qu’il ne soit pas touché. Le plus important pour unité est l’objectif ennemi qu’il doit atteindre. » Il renouvelle le slogan qui sera la pierre angulaire du comportement des officiers : « La maîtrise de l’unité pendant le combat ne passe par la communication orale, par radio ou par écrit. La maîtrise c’est la direction de l’unité et de son action pour la réalisation de sa mission. Le principal outil est l’ordre : Après moi. »  Celui qui s’exprime est le Dayan qui avançait à la tête de ses hommes sous un feu nourri à Lod et à Ramleh.

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Exode XXI, 24

Le nombre des meurtres et des actions de pillage augmentent à partir de 1952. Des infiltrés palestiniens tuent régulièrement des juifs qu’ils croisent leurs chemins et ils attaquent les maisons de villageois. Ces incidents mettent à mal la sécurité de centaines d’immigrants installés dans les localités qui fleurissent le long des frontières. On observe même des cas d’abandons de localités. Les habitants prévenus à temps prennent l’habitude de se rassembler dans l’une des maisons pour passer la nuit ensemble, par peur de rester seuls dans leurs maisons. Différentes ressources sont mobilisées pour accroitre la sécurité à la frontière : Les villages sont entourés d’une clôture et les alentours sont minés; des unités de l’armée et de la police dressent des embuscades aux points sensibles; Les habitants sont entrainés et reçoivent des armes légères et dans chaque village un soldat est affecté afin d’organiser la défense. Mais tous ces efforts n’empêchent pas les actes de sabotage  répétition.

Dayan est persuadé que la seule façon de réduire le niveau d’activités des infiltrés consiste à persuader les autorités dans les pays arabes voisins qu’elles doivent agir fermement pour empêcher les infiltrations à partir de leurs territoires. « Persuader le côté d’en face », c’est de mener des opérations de représailles, une politique du genre « oeil pour oeil, dent pour dent », non dans un esprit de vengeance mais afin de créer une réalité dissuasive. Etant donné le rapport de force d’alors, on pense en Israël que les pays arabes voisins ne sont pas intéressés à envenimer la situation pouvant entrainer une confrontation généralisée, Dans cette vision, les coups sévères portés par Tsahal contre le camp d’en face, devraient inciter les autorités arabes à augmenter leurs efforts pour contrôler les candidats à l’infiltration, afin d’empêcher une guerre avec Israël. Moshé Dayan précisait sa position dans un article paru dans le journal de Tsahal :

Nous ne sommes pas en mesure de protéger chaque canalisation d’eau contre une explosion ou d’empêcher qu’un arbre soit déraciné. Nous n’arrivons pas à stopper les assassinats d’ouvriers dans les vergers ou de familles pendant leur sommeil. Mais nous avons les moyens de fixer un prix élevé pour notre sang, un prix qu’aucun village arabe, armée arabe ou gouvernement arabe ne voudra payer.

Meïr Har Tsion et Arik Sharon

A la lumière de échecs de plusieurs opérations, il est proposé de créer une unité de commandos spéciale qui serait le bras armé de la politique de représailles de Tsahal. Au début Dayan est opposé à cette idée. Il considère qu’il faut renforcer l’état d’esprit combattif  dans toutes les unités de l’armée et non créer une unité spéciale assignée à ces opérations. Cependant il comprend que cette politique de représailles ne peut se permettre des échecs et qu’elle a besoin de succès incontestables sur le terrain afin d’être efficace. L’unité 101, qui entrera dans la légende de l’armée, est créée par un jeune commandant, que Dayan a connu alors qu’il était officier des renseignements du commandement de la région Nord, Ariel (Arik) Sharon. L’unité est composée de volontaires, dont quelques vétérans du Palma’h et surtout des jeunes engagés courageux en quêtes d’aventures. L’un de ces volontaires s’appelle Meïr Har Tsion du Kibboutz Ein ‘Harod de la vallée de Jezreel et qui s’avérera être un combattant intrépide. Par exemple, il conduira un petit groupe de cinq soldats par une nuit de tempête et de pluie jusqu’aux abords de la ville d’hebron, soit une marche aller-retour de 40 km à pied. Une telle opération suppose non seulement du courage mais aussi une aptitude physique remarquable.

La première rencontre entre Moshé Dayan et Meïr Par Tsion fut assez originale. En septembre 1953, l’unité 101 est mobilisée pour renvoyer du côté égyptien de la frontière la tribu bédouine El-Azazma qui est revenue s’installer sur le terrain démilitarisé de Nitsana. Dayan se rend sur place pour observer ce qui s’y passe de ses propre yeux. Il décrira ces évènements dans ses mémoires :

Deux cadavres de chameaux reposaient dans un des wadis et des oiseaux de proie s’étaient approchés d’eux. Au moment où je pointais mon fusil en direction de l’un des oiseaux et que je m’apprêtais à appuyer sur la gâchette, quelqu’un m’attrapa la main et me réprimanda  : « Qu’est-ce que tu fais ? c’est un aigle ! » Je regardais derrière moi. Face à moi se tient le commandant de la patrouille, Meïr Har Tsion, un grand jeune homme maigre au visage enfantin, une mèche parant son front. Même en colère son visage restait illuminé. Il n’était habituel qu’un caporal ôta son fusil des mains d’un général. Har Tsion m’expliqua que ne survivait en Israël qu’une trentaine de couples d’aigles.

Dayan aura l’occasion de croiser à nouveau Har Tsion dans des circonstances moins agréables mais il restera toujours persuadé qu’il est le meilleur soldat de Tsahal.

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