Membres de l’Unité 101 après son intégration dans le 890e bataillon de parachutistes en 1955. De gauche à droite et de haut en bas : Lieutenant Meir Har-Zion – Major Arik Sharon – Lieutenant-Général Moshe Dayan (Chef d’État-Major) – Capitaine Dani Matt – Lieutenant Moshe Efron – Major-Général Asaf Simchoni – Capitaine Aharon Davidi – Lieutenant Ya’akov Ya’akov – Capitaine Raful Eitan
L’unité 101 reste opérationnelle que pendant quatre mois et n’a pas le temps d’exécuter de nombreuses opérations mais celles-ci deviennent rapidement célèbres grâce au bouche à oreille et sa gloire la précède malgré le secret total imposé sur la vraie nature de ses missions. En octobre 1953 plusieurs assassinats sont perpétués par des infiltrés venus de Jordanie. Le 12 octobre une grenade à main est lancée sur une maison d’une famille de la ville de Yéhoud proche de l’aéroport de Loi. Une mère et deux enfants sont tués, et un troisième est blessé. Pour l’État-major, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il est décidé de lancer une vaste opération de représailles contre le village palestinien de Qibya où stationne un détachement de la Légion arabe charger de le protéger.
L’unité 101 et ses 40 combattants n’est pas de taille pour une telle opération. C’est pourquoi on lui adjoint une compagnie d’un bataillon de parachutistes. Arik Sharon qui commande l’opération, décide de modifier de son propre chef le teneur de l’ordre émanant de l’État-major. L’ordre précisait de détruire des maisons après avoir mis en fuite leurs habitants. Sharon écrit dans son ordre de mission que l’objectif de l’opération est de frapper au maximum les habitants et leurs biens. Ce ne sera pas la dernière fois que Sharon modifie, par écrit ou par ses actes, les décisions de l’État-major et durcit une opération qu’il commande. Le résultat est détestable. L’unité de la légion arabe se replie, le village est conquis mais 45 maisons s’effondrent sur leurs habitants et environ 70 personnes, principalement des femmes et des enfants, sont tués. Sharon affirmera que ses soldats pensaient que les habitants avaient fui avec les soldats de la Légion arabe et ne s’étaient pas donné la peine de vérifier qui restaient dans les maisons. Mais l’excuse apparait bien mince face à l’ampleur du carnage. L’opération provoque la colère dans le monde. Plusieurs pays, à commencer par les USA, protestent vivement auprès du gouvernement israélien contre cette cruelle opération. Dayan est envoyé pour plusieurs jours à New-York afin d’assister une délégation du ministères affaires étrangères dans le but de tenter de défendre la position d’Israël à l’ONU, sans pouvoir éviter un blâme sévère du Conseil de sécurité. Il en tirera une leçon :
Israël a compris que même si les arabes frappent des civils innocents, nous avons l’obligation de limiter notre réaction à des objectifs militaires. Ce qui est « permis » aux arabes et même aux autres peuples, ne sera ni excusé ni pardonné aux juifs et à Israël. Non seulement les étrangers mais également israël et les juifs du monde attendent de nous que nous conservions une stature morale, bien supérieure à celle qui existe dans toutes les autres armées.
C’est au cours de la présence de Dayan aux USA qu’éclate un petit scandale familial. Yael, sa fille bien aimée qui n’a pas encore 15 ans, jeune fille douée, intelligente et mature pour son âge. Elle s’apprête à terminer ses études secondaires à Tel-Aviv avec deux ans d’avance. Elle s’est liée d’amitié avec Ouri Avneri, l’éditeur de l’hebdomadaire politique HaOlam HaZé, très critique à l’égard de la politique gouvernementale et qui a le don d’agacer l’establishment. L’hebdomadaire publie des articles dans lesquels on critique vigoureusement les opérations de représailles menées par Tsahal, et qui dévoilent des détails restés jusqu’alors secrets sur l’épisode de Qibya mais aussi sur les mauvaises relations existantes au sommet de la hiérarchie militaire. Ces articles inquiètent le pouvoir exécutif et les services de sécurité estiment qu’une partie des informations divulguées a été transmise à la rédaction par Yael. Ils fouillent la chambre, consulte son journal intime et ses cahiers de classe. Yael ne dément qu’une partie des accusations portées par les enquêteurs. Dans ses mémoires elle avouera : « J’étais une rebelle, j’étais différente, je marchais sur une voie dangereuse sans le savoir. J’ai probablement été manipulée par des gens plus doués que moi., mais je n’ai pas dit ou écrit quoique ce soit de secret susceptible de causer des dommages.
Interrogée, Ruth, sa mère, este consternée et ne sait pas comment gérer la situation. Elle envoie à Dayan trois télégrammes urgents dans lesquels elle lui demande de rentrer immédiatement à la maison. Elle est elle-même malade et réside chez sa soeur. Dayan est absolument furieux. Il ne peut pas et peut-être ne souhaite pas écouter son séjour aux USA. A son retour il a une explication avec Yael. Elle racontera en détails cet épisode douloureux :
la scène fut courte, douloureuse et instructive sur plusieurs points. Je trouvais mon père dans ma chambre. Mon journal intime qu’il avait apparemment terminé de lire était posé ouvert sur le bureau. Il m’embrassa avec beaucoup de chaleur parce que nous nous étions pas vu depuis longtemps, puis il me gifla avec une telle force que je fut projetée pratiquement à l’autre bout de la chambre. Il jeta mon journal par terre. Je pleurais de douleur.
Yael et Moshé Dayan
Yael tente de parler encore avec son père mais il est très troublé et veut mettre fin à la discussion. « De mon point de vue l’affaire est close. » Il propose à Yael de monter voir les robes qu’il lui a achetées en Amérique et qu’elle vérifie qu’elles lui conviennent. Avant qu’ils se séparent il ajoute : « Je t’aime beaucoup mais n’en profite pas. » Dans ses mémoires Yael résume cet épisode par un acte d’accusation non dissimulé : « Il y avait des sujets auxquels Papa ne pouvait pas se dérober mais auxquels il ne voulait pas être confronté. Au lieu de me soutenir il s’était occupé de son cas personnel. Il entendait être lavé de toute accusation et libéré de toute crainte en tant que père. »
Yael est sans doute la « fille de son père » et de ses trois enfants, elle est celle qu’il aime et qu’il accompagne. Il y eut de courtes périodes au cours desquelles ils se conduisit en père dévoué. Ainsi lorsqu’ils habitaient dans leur maison de Nahalal après avoir été blessé à l’oeil, il lui arrivait souvent de s’amuser avec les garçons. Plus tard il emmènera son fils Ouri en excursions et pour des parties de chasse.
Lorsqu’il fut le commandant de Jérusalem, il était parfois absent de la maison pour de courtes périodes mais en général il dirigeait ses affaires de sa maison, ce qui lui laissait du temps pour s’occuper de sa famille. Il aimait bien prendre avec lui ses enfants en tournée sur la ligne de démarcation dans les environs de Jérusalem, dans ces zones abandonnées. Yael racontera que pendant les Shabats, ils partaient tous les cinq en excursion dans les zones inhabitées : « Notre groupe des cinq voyageait en jeep sur des sentiers; nous passions à côté de villages arabes; on grimpait à flanc de montagne et nous trouvions des grenades mures et du raisin sucré comme le miel. Papa avait une passion pour les fruits et toutes ses plantations abandonnées, délaissées, sauvages, étaient autant de nouveaux jardins d’Eden.
Cependant de tels épisodes sont particulièrement rares et de courte durée. Les enfants sont obligés d’accepter leur situation particulière « d’enfants de Dayan », chacun à sa manière et pas toujours avec succès. Dayan est en réalité assez peu intéressé par ses fils. Ses relations avec Yael sont beaucoup plus fortes et intimes.
David Ben Gourion dans la salle à manger du Kibboutz Sdé Boker en 1953
Fin 1953, la mission d’un an du général Mordékhaï Maklef en tant que chef d’État-major s’achève. C’est à ce moment que David ben Gourion, chef du gouvernement, décide de se retirer des affaires pour une période prolongée et sans qu’on en connaissance la durée. Il devient membre du kibboutz Sdé Boker situé sur le plateau du Néguev. Par son exemple il entend raviver la flamme de l’esprit pionnier qui selon lui s’est affaiblie depuis la création de l’État. Tous les journaux publient la photo où l’on voit Ben Gourion prenant soin d’un agneau dans l’enclos du kibboutz. Le parti choisit de confier le gouvernement au ministre des affaires étrangères Moshé Sharett. Le poste de ministre de la Défense jusqu’alors également occupé par Ben Gourion, revient à un jeune ministre Pin’has Lavon, connu pour son intelligence, ses dons d’orateur et considéré comme un modéré sur la question du conflit avec les arabes. Le 7 décembre 1953, quelques heures avant sa démission, Ben Gourion nomme Shimon Péres au poste de Directeur Général du ministère de la Défense et Moshé Dayan au poste de Chef d’État-Major. La nomination de Dayan était attendue et évidente. Il est le général le plus chevronné. Par ailleurs ses liens personnels et politiques avec Ben Gourion ne sont un secret pour personne. Malgré cela, Sharett s’inquiète beaucoup de cette nomination et informe Ben Gourion qu’il s’y oppose. Il écrit dans son journal :
Maklef, Ben Gourion et Dayan en 1953
Je dis aussitôt que Dayan était un soldat uniquement en temps de guerre, mais qu’en période de paix, c’était un homme politique qui n’avait aucun goût pour les affaires militaires. Sa nomination signifiait la politisation de l’État-major. Les capacités d’intrigue du nouveau Chef d’État-major seront une source fertile de complications.
Sharett a sans doute raison pour ce qui est de la dimension politique de Dayan qui n’est pas plus passionné que cela par la gestion de l’armée. Mais ses accusations sur les supposées capacités d’intriguant de Dayan ne sont alimentées que par une appréciation assez répandue au sein du ministère des Affaires Étrangères. Les fonctionnaires de Sharett partagent le sentiment que Dayan ne les estime pas comme il conviendrait et qu’il minimise leur importance. À la tête du gouvernement Moshé Sharett ne manquera pas d’exprimer ouvertement son mépris et les relations entre les deux protagonistes ne cesseront pas de se dégrader. Un gouffre béant les sépare tant sur le plan du tempérament que de leur conception de la politique que le gouvernement d’Israël doit adopter dans sa gestion du conflit. Leur défiance réciproque est la source de leur opposition. Mais pour le moment Dayan, qui vient d’obtenir tous les pouvoirs, concentre son énergie sur le renouveau de Tsahal.
Même placé au sommet de la hiérarchie militaire, Dayan n’en continue pas moins de prendre des initiatives symboliques comme du temps où il était chef des opérations. Il s’agit pour lui de signifier que les temps changent et d’assoir son autorité. Il met fin à la fonction d’aide de camp personnel, rôle purement cérémonial. Puis il transforme le spacieux et magnifique bureau de ses prédécesseurs en salle de réunion de l’État-major et il se réserve le petit bureau de l’aide de camp où il fait apporter sa table de campagne.
Dayan propose de ne plus permettre aux officiers supérieurs d’être transportés en berline et exige d’eux qu’ils se contentent de leur jeep pour leur usage personnel. Il s’en explique ainsi : « Les épouses d’officiers auront du mal à grimper dans les jeeps et cesseront de profiter de leur voiture militaire pour faire leur courses. » Sa proposition soulève de vives et prévisibles oppositions de la part des officiers mais aussi des services d’intendance qui lui expliquent que ce changement va entrainer d’importantes dépenses. Dayan retire sa proposition mais il prend l’initiative d’une décision nettement plus importante pour la carrière des officiers d’active. Il décide que chaque officier devra avoir deux carrières. Leur carrière militaire prendra fin dès l’âge de 40 ans, puis ils entameront une seconde carrière des le civil dans le secteur de leur choix. Ainsi on s’assurera que le corps des officiers restera jeune et frais. En quelques mois plusieurs des principaux généraux de la guerre d’indépendance démissionnent, ayant dépassé ce nouvel âge de la retraite. Leurs places sont occupées par des officiers ayant servi pendant la guerre d’indépendance comme commandant de bataillon et possédant une grande expérience du terrain. L’un des meilleurs d’entre eux Its’hak Rabin, devient le chef du département de l’instruction et est promu général. La décision de rajeunir le corps des officiers qui doit permettre de conserver une armée jeune, va avoir une autre conséquence que Dayan n’a probablement pas imaginée : l’implication durable d’officiers compétents et expérimentés aux affaires de l’État et à l’économie israélienne. Certains chercheurs estiment que cette décision de Dayan aurait contribué à la militarisation de la société israélienne.
Dayan prend conscience qu’à partir de maintenant il devient un acteur central de la construction de historique de l’État d’Israël. Comme depuis son enfance il est habitué à noter dans son journal intime ou dans ses lettres les évènements, il décide de tenir un journal dans lequel il retranscrira tous les évènements auxquels il participera en tant que Chef d’État-major ou dans le cadre de ses responsabilités futures. Au début il demande à son assistante Néoura de lui libérer une heure en fin de chaque journée de travail pour qu’il puisse lui même rédiger son journal, mais rapidement il n’a plus la patience de tenir son journal qu’il confie à son chef de bureau Shlomo Gazit et à Néoura. De temps en temps Dayan leur donne la liste des choses qui se sont produites en leur absence. La plupart du temps, l’un des deux étant présent lors des rencontres au bureau ou l’accompagne dans ses déplacements à l’extérieur, de telle manière qu’il peut rédiger directement le compte-rendu des évènements. Plus tard le journal du bureau du Chef d’État-majoe deviendra l’une des plus importantes source pour les recherches sur la politique de défense et sur l’histoire militaire des années 50. Il servira de base pour deux livres écrits par Dayan. Néoura continuera à tenir le journal de Dayan au cours de ses fonctions futures.
Meïr Amit, futur patron du Mossad et ministre dans le premier gouvernement de Mena’hem begin était en 1956, le chef des opérations à l’État-major. Dayan s’intéresse principalement à l’opérationnel et se concentre de temps en temps qui requiert toute son attention. pour le reste il préfère déléguer son autorité à d’autres. La direction quotidienne de l’armée, et en particulier la gestion l’ennuient et il est bien content qu’Amit prenne sur lui l’essentiel des affaires courantes.
Dayan veille à se réserver un temps aussi long que possible pour la réflexion. il arrive à son bureau chaque matin vers 8h, mais il a ordonné que les rencontres et les réunions ne commencent pas avant 10h. Il consacre ces deux premières heures à la lecture. Les rapports détaillent le fatiguent et il se contente de lire les résumés, à l’exception de trois types de rapports. Chaque matin il lit les dépêches détaillées de la veille émanant des renseignements. Il ne s’agit pas de résumés ou d’analyses détaillées produits par les renseignements mais de la matière brute : rapports d’agents, télégrammes décodés de l’ennemi,… Il a demandé à recevoir directement ce type de documents. Il n’oublie pas de jeter un oeil à la presse quotidienne qui est posée en tas sur sa table. Les télégrammes du ministère des affaires étrangères arrivent également à son bureau. Il en retire une vision des affaires diplomatiques et politiques.
Dayan a l’habitude de faire un somme d’une demie-heure après le déjeuner dans un petit pavillon mis à sa disposition à proximité de son bureau. En général il termine son travail vers 17h ou 18h. Il réserve une journée par semaine à ses tournées dans les unités de Tsahal ou sur la ligne du front. Il passe de longues heures sur le terrain et parfois il fait des visites surprises au bon milieu de la nuit. Une fois par semaine il rencontre le ministre de la Défense et il a un jour de la semaine une réunion avec les chefs des départements de l’État-major et les chefs des différentes armées. Il a enfin un meeting hebdomadaire avec tous les généraux de Tsahal. Il s’arrange pour libérer son vendredi et la plupart du temps il part pour ses fouilles archéologiques sur une très grande variété de sites en Israël.
Les membres de l’État-major en 1957 autour du premier ministre David Ben Gourion et de Shimon Pérès. Assis de gauche à droite : Méir Amit, Moshé Dayan, DBG et SP, Tsvi Tsour, Dan Tolkovsky. Debout de droite à gauche : Ne’hamia Argov, Guid’one Shocken, Shmuel Tankous, Its’hak Rabin, Moshé Tsadok, Yhoshaphat Harkabi, ‘Haïm Bar-Lev et Méir Ilan
Depuis le jour où, chef du commandement du sud, il découvrit par hasard les cruches de l’époque biblique, la recherche et la collection d’antiquités deviennent se transforme en obsession. Le fait de savoir qu’il tient entre ses mains une poterie que ses ancêtres ont fabriqué de leurs mains et qu’ils ont utilisée aux temps bibliques existe son imagination et enflamme ses sentiment : « Quand j’ai commencé à fouiller, j’ai du réservé une pièce entière » raconte-t-il. « Là étaient posées les cruches, ici les chandeliers, les dalles du sol, la table… C’était comme si je me transportais d’un croup à l’époque du roi David. » C’est dans la cour de sa maison qu’il recolle les débris rapportés de ses fouilles. c’est aussi pour lui un moyen d’échapper au monde extérieur, de rester seul en contemplation. même son chauffeur Noam, qui le conduit vers ses sites, demeure à bonne distance pour le protéger mais s’en s’approcher.
Les problèmes aux frontières du pays ne cessent pas de l’importuner. Après la destruction de Qibya, la légion jordanienne a renforcé son emprise à la frontière et le nombre des infiltrations meurtrières palestiniennes a diminué. Par contre les infiltrations à partir de la bande de Gaza contrôlée par l’Egypte se multiplient et Dayan poursuit sa politique de représailles. En janvier 1954, un mois après sa nomination à la tête de l’État-major, il décide de fusionner l’unité 101 et le groupe des parachutistes. Il place à la tête du nouveau bataillon Arik Sharon qui a déjà prouvé son leadership et sa capacité à réussir des raids courageux à l’intérieur du territoire ennemi. Au cours des trois années qui suivent le bataillon 890 des parachutistes sera l’outil principal grâce auquel Dayan appliquera sa politique de représailles. Cependant il n’abandonne pas son rêve de transformer l’armée toute entière en force combattante, courageuse et efficace. Ainsi il insiste pour que des unités d’autres brigades soient mobilisées pour des opérations extérieures. Il souhaite insuffler à tous les niveaux de commandement de Tsahal un esprit combatif identique à celui régnant parmi les parachutistes.
En juillet 1954, Dayan, accompagné du chef du département de l’instruction, le général Rabin et de quelques autres officiers, part pour une tournée au sein de l’armée des États-Unis. Dayan s’intéresse tout spécialement aux unités de commandos, aux parachutistes, à la manière qu’ont les américains d’entrainer et d’instruire les commandants des unités combattantes. A leur retour des USA, Dayan impose que tous les officiers des unités combattantes de Tsahal devront suivre une formation de parachutiste. « Chaque officier doit surmonter deux problèmes lors des combats : sa peur personnelle et le contrôle de ses hommes. Grâce à cet entrainement spécial il pourra au moins dominer son premier problème, la crainte pour son propre corps. »
Arik Sharon fixe les ailes de parachutiste sur l’uniforme de Moshé Dayan en 1954.
Il suit lui-même la formation en compagnie de plusieurs officiers de l’État-major, dont le grand rabbin de l’armée. Au cours du dernier parachutage, Dayan se déboite le pied et arrive à la cérémonie de remise des ailes de parachutiste avec un pied bandé. C’est le commandant des parachutistes, Arik Sharon, qui lui fixe l’insigne. « Il était fier et heureux comme un petit garçon » se souviendra sa fille Yaël qui est déjà presque une jeune femme. L’évènement est largement relaté dans la presse quotidienne et devient un symbole de la politique du nouveau chef d’État-major. Le nombre de volontaires pour les unités de parachutistes dépasse de beaucoup les besoins du bataillon et Dayan décide qu’au sein de toutes les brigades régulières sera crée une compagnie de commandos dont les soldats suivront une formation de parachutiste. A la fin de l’année 1954, un an après la nomination de Dayan, l’ambiance au seine Tsahal a changé du tout au tout.
Le colonel Benyamin Gibli, chef des renseignements militaires
C’est au cours de l’une des absences de Dayan du pays qu’a lieu un évènement qui va projeter une ombre pesante sur tout le monde politique israélien au cours des dix années suivantes. Cette affaire aboutira en fin de compte au retrait de Ben Gourion de la vie politique et marquera le début de la fin du Mapaï. L’affaire débute par une histoire stupide et négligeable. Le colonel Binyamin Gibli, chef des renseignements militaires, ordonne de réveiller à des fins d’opérations de provocation, un réseau d’espions constitué en Egypte quelques années plus tôt. l’objectif de cette initiative est d’empêcher le retrait de la zone du canal de Suez des forces britanniques. De jeunes juifs égyptiens font exploser de petits engins incendiaires dans des institutions britanniques et américaines du Caire et d’Alexandrie. Ceux-ci ne provoquent pas d’importants dégâts mais l’un de ces engins explose dans la poche d’un des jeunes et les dix membres du réseau sont arrêtés et traduits en justice. Deux des leaders du réseau sont condamnés à mort, sept dont une femme Marcelle Ninio, sont condamnés à de longues peines de prison. Un espion israélien qui a lui aussi été capturé parvient à se suicider en prison. L’affaire est rendue publique et stupéfait le monde entier. Israël nie tout lien avec le réseau. Malgré la censure très sévère des informations détaillées sont publiées dans la presse israélienne sous forme d’allusions. Toute l’affaire est baptisée du nom de code « l’affaire Habish » mais peu de gens en Israël comprennent réellement ce dont il s’agit.
Marcelle Ninio lors de son procès au Caire
Dans les allées du pouvoir on cherche à savoir qui a donné le feu vert au réseau pour agir de la sorte. Binyamin Gibli affirme que le ministre de la défense, Pin’has Lavon lui en a donné l’ordre au cours d’une discussion entre 4 yeux. Lavon dément fermement. La commission d’enquête nommée par le Premier ministre Moshé Sharett d’arrive pas à déterminer qui est responsable de l’opération. Lavon démissionne et Gibli doit quitter son poste de chef des renseignements militaires pour être nommé à une fonction subalterne. À la fin des années 50 il sera démontré que Gibli avait ordonné à sa secrétaire de modifier la date inscrite sur l’exemplaire de la lettre qu’il avait écrite à Dayan alors que celui-ci séjournait aux USA., afin de renforcer son argumentation selon laquelle l’affaire Habish trouvait sa source dans la rencontre entre quatre yeux qu’il avait eue avec le ministre. Cette découverte créera une grande confusion au sein de l’establishment israélien, un charivari qui deviendra « L’affaire Lavon ».
Pin’has Lavon et Moshé Dayan Peres lors d’une cérémonie de fin de cours d’officiers en 1954
Comme nous le savons, Dayan n’est pas en Israël lorsque le réseau tombe. Dans la lettre que lui envoie Binyamin Gibli le 19 juillet 1954, après la chute du réseau, il semble absolument clair que l’ordre a été donné après que Dayan ait quitté le pays et sans qu’il en soit informé. Il n’y a aucun doute qu’il connaissait le projet d’actionner le réseau afin de faire échouer le retrait des britanniques du Canal, mais il n’a pas été partie prenante dans la décision de la mise en oeuvre effective. Six mois plus tôt, en Février 1954, il avait discuté de la possibilité d’activer le réseau à des fins de provocations. Dayan avait exprimé sa totale opposition et avait exiger de maintenir le réseau en sommeil et de ne l’utiliser qu’en cas de guerre. Néanmoins Dayan est impliqué dans la crise qui se produit parce qu’au cours des enquêtes menées par la commission, Lavon exige que Dayan soit évincé au motif qu’il a perdu sa confiance, non parce qu’il serait responsable de ce qui s’est passé mais pour d’autres raisons.
Pin’has Lavon, ministre de la Défense
Lors de son témoignage devant la commission Olshan-Dori qui enquête sur l’affaire Habish, Dayan exprime également de nombreuses affirmations contre Lavon. Dès leur entrée en fonction à la fin de Décembre 1953, ces deux-là se sont opposés sur plusieurs sujets. Par exemple, Dayan se plaint du refus du ministre de la Défense d’autoriser l’achat de fusils modernes pour Tsahal alors que cette dépense figure dans le budget du ministère et qu’elle est recommandée par tous les experts. De même Dayan proteste du refus du ministre d’autoriser l’acquisition de chars français alors que l’État-major pousse à cet achat.
Le 15 juin 1954, Dayan va même jusqu’à présenter une lettre de démission à son ministre de tutelle au motif que celui-ci tenterait de passer au dessus de lui, en rencontrant des officiers sans l’en informer, en prenant sans le consulter des décisions sur de nombreux sujets relevant de l’autorité du Chef d’État-major. Dans cette lettre, il justifie sa démission par une courte phrase : « Je regrette profondément de ne pas avoir réussi à obtenir votre confiance. » Lavon n’accepte ps sa démission. Au cours d’une conversation entre trois yeux, ils tentent d’aplanir autant que possible les difficultés mais Lavon reste convaincu que Dayan n’est pas digne de confiance et est indiscipliné. A la suite de la démission de Lavon, David Ben Gourion rentre de Sdé Boker le 21 février 1955 et entre au gouvernement de Moshé Sharett comme ministre de la Défense. Pour le moment la tempête s’est calmée et l’establishment reprend son souffle.
Parade de l’indépendance le 27 avril 1955. De gauche à droite : Moshe Dayan (CEM), Moshe Sharett (PM), Yitzhak Ben-Zvi (Président), David Ben-Gurion (Ministre de la Défense) et Zvi Ayalon (Commandant de la région centre)
Au cours des deux années pendant lesquelles Moshé Sharett est à la fois le chef du gouvernement et le ministre des affaires étrangères, ses relations avec le Chef d’État-major de Tsahal sont saturées par la suspicion et les tensions. Sharett est convaincu que Dayan dépasse ses prérogatives, contourne ses instructions et lui cache des choses. De son côté Dayan ne dissimule pas son opposition aux prises de positions de Sharett sur les sujets touchant à la sécurité et considère que son approche conciliante et sa compréhension du conflit avec les arabes menacent les intérêts vitaux du pays. Sharett comprend bien qu’il n’y aucune chance d’aboutir à la paix avec les arabes dans un avenir proche, mais il croit qu’une politique modérée peut au fil du temps amener à un ramollissement de la position des arabes. En conséquence il pense qu’Israël devrait s’abstenir de souffler sur les braises en faisant un usage excessif de la force.
A l’inverse Dayan est persuadé, comme David Ben Gourion, que l’avenir le plus probable est celui d’une tentative par les arabes de lancer une seconde campagne militaire afin d’effacer leur échec de 1948 et d’éliminer l’état sioniste haï.Dayan est convaincu que pour l’heure les arabes ne sont pas prêts pour une guerre de grande ampleur mais ils s’efforcent par tous les moyens d’empêcher la consolidation de l’état juif, de le faire trébucher et de l’affaiblir. les opérations terroristes menées depuis la frontières, les actions contre le développement des ressources en eaux, l’interdiction de passer par le canal de Suez, le boycott économique contre les pays commerçant avec Israël, la fermeture du détroit menant au port d’Eilat, tout cela et plus encore, témoignent de la volonté des arabes de freiner le développement du pays afin de l’affaiblir dans la perspective d’u conflit final. Dayan estime qu’Israël doit s’opposer à ces efforts y compris en employant la force armée et même au risque d’emprunter un chemin pouvant mener à une guerre généralisée. A son avis, la paix n’est pas du tout à l’ordre du jour.
Dayan méprise aussi les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères et les diplomates présents dans les pays du monde entier.Il estime qu’ils sont trop enclins à ne pas tenir tête face aux critiques des goyim et qu’ils ne font pas preuve de suffisamment de courage et de respect de soi lorsqu’ils sont soumis à de fortes pressions. Lorsque Dayan rentre en octobre 1953 de New-York où il a été envoyé pour prêter main forte aux fonctionnaires du ministère des affaires étrangères confrontés aux attaques lancées contre Israël au sein du Conseil de Sécurité à la suite de l’opération sur Qibya, il confie à ses collaborateurs ses impressions sur les diplomates israéliens qu’il a rencontrés. Sa secrétaire a conservé ses propos :
Son sentiment était que leur séjour prolongé aux USA leur avait fait perdre leur « israélité ». A son avis, ils représentaient l’organisation des nations unies auprès du gouvernement israélien avec beaucoup plus de conviction qu’ils ne représentaient Israël auprès de l’ONU. Ils avaient perdu le lien et la compréhension des enjeux sécuritaires auxquels était confronté Israël et le gouffre entre lui et eux était dû à une mentalité différente.
Aban Eban en 1951
Il est probable que ses propos visaient avant tout Abba Eban, l’habile représentant d’Israël à Washington et au siège de l’ONU à New-York. Cette critique refera surface à plusieurs reprises dans l’avenir. Les deux serviront ensemble dans un gouvernement et défendront des points de vue différents.
La suspicion de Sharett à l’égard du Chef d’État-major se nourrit de deux facteurs. Plus d’une fois le ministre de la Défense, Pin’has Lavon, a ordonné des opérations militaires sans en informer au préalable le chef du gouvernement qui a été surpris d’apprendre par la radio que Tsahal avait menée telle ou telle opération. L’affaire Habish est l’une parmi d’autres. La plupart des opérations sont autorisées par le ministre de tutelle, mais Sharett s’en prend aussi à Dayan qu’il soupçonne d’être à l’initiative de ces opérations et d’agir parfois de son propre chef. Pourtant à cette époque, il y eut plusieurs exemples où des officiers de Tsahal, principalement des parachutistes, agirent sans autorisation du Chef d’État-major, mais Sharett en accuse Dayan sans donner crédit à ses explications.
Le sergent Its’hak Gibli
Par exemple, dans la nuit du 29 juin 1954, une unité de parachutistes organise une opération de représailles réduite contre un campement de la légion jordanienne en Cisjordanie. L’unité tue deux soldats jordaniens et en blesse quatre autres, mais l’un de ses hommes est blessé. Il s’agit d’Its’hak Gibli, que Dayan a connu personnellement du temps où il était le chauffeur d’un officier de l’État-major, Rehavam Ze’evi. L’unité n’arrive pas à le récupérer sur le moment et à sa demande, elle décide de l’abandonner sur place afin d’éviter que d’autres soldats sont capturés. Gibli est fait prisonnier par les jordaniens et soigné dans un hôpital de Ramallah. Afin de protéger la vie du soldat prisonnier, Dayan informe les observateurs de l’ONU qu’une unité de Tsahal a opéré au delà de la frontière et a abandonné un soldat blessé. C’est une démarche tout à fait inhabituelle car Israël ne reconnait jamais ses opérations. Une telle déclaration est de nature à peser sur les diplomates israéliens lors de débats organisés suite à une probable protestation de la Jordanie auprès du Conseil de Sécurité. Avec son ton méprisant caractéristique, Dayan confie à ses collaborateurs : « Si les jordaniens portent plainte à l’ONU, ce ne sera pas grave et le parachutiste mérite bien qu’Abba Eban prononce deux discours en sa faveur… »
Arik Sharon et Moshé Dayan avec les hommes de l’unité 101
Le commandant du bataillon des parachutistes, Arik Sharon, adhère au principe sacro-saint selon lequel on doit pas abandonner des soldats sur le champ de bataille. Il décide de son propre chef de capturer des soldats jordaniens afin d’accélérer la libération de son soldat captif. Dans un premier temps il avait espéré récupérer le soldat sur son lieu de détention mais les jordaniens l’avait déplacé dans une prison plus éloignée. Puis de jeunes femmes en maillot de bain tentent en vain de séduire des soldats jordaniens à Eilat. Ensuite une unité dirigée par Sharon et composée de soldats portant des uniformes d’officiers de l’ONU se prépare à partir pour une mission de kidnapping mais Dayan blâme Sharon et interdit de mettre en oeuvre de telles missions. A de nombreuses reprises au cours de ces opérations de représailles, des complications se produisent qui obligent à élargir la portée des opérations ou à en modifier l’exécution. Dayan comprend que des imprévus peuvent survenir mais il refuse catégoriquement toute extension de l’opération ou initiative programmée à l’avance sans autorisation. Il déclare à Sharon : « je ne serai pas étonné si une opération préparée d’une certaine façon obtienne des résultats absolument différents à cause de circonstances particulières pendant l’exécution. Mais en aucun cas je n’accepterai que l’objectif soit modifié à l’avance et qui ne corresponde plus à ce qui a été autorisé. » Ce ne sera pas la seule occasion où cette question sera à l’ordre du jour et assombrira les relations entre Dayan et Sharon. Malgré cela, Sharett ne fait pas confiance à Dayan et reste persuadé qu’il se trouvé derrière ces opérations.
Le deuxième exemple est plus grave et implique Méïr Har Tsion, très apprécié de Dayan. Le 23 décembre, près de Fin Guédi et de la frontière, des bédouins assassinent Shoshana, la soeur âgée de 18 ans de Méïr Har Tsion, ainsi que son ami Oded Wegmeister originaire de Dégania. Comme son frère Méïr, Shoshana est une jeune femme intrépide qui aiment se promener dans des lieux dangereux. Har Tsion a quitté Tsahal peu de temps auparavant à cause de la maladie de son père. Il part accompagné de quelques amis pour une opération de vengeance privée. L’équipée traverse la frontière et tue un groupe de jeunes bédouins. Il s’avère qu’Ari Sharon était informé de l’opération et qu’il a apporté son aide par l’intermédiaires d’amis. A plusieurs reprises, Sharett revient sur cette affaire dans son journal intime en exprimant ses soupçons sur le fait que Dayan aurait également été au courant de la vendetta et qu’il l’aurait approuvée, sans pour autant apporter des preuves.
Shmuel Tamir, ancien commandant de l’Irgoun à Jérusalem, avocat, ministre de la justice de Ména’hem Begin
Dès qu’il est informé de l’affaire, Dayan, le coeur brisé, décide d’arrêter Har Tsion et ses complices afin de les traduire en justice. L’affaire se complique lorsque les accusés décident de faire appel aux services de Shmuel Tamir, un avocat politique habile, qui avait mystifié le gouvernement lors du procès Rudolf Kastner. Il menace à nouveau de transformer l’affaire en procès politique et d’y attaquer le gouvernement. Ce dernier n’y tient pas et fait libérer les accusés. Sharett s’oppose à l’annulation du procès et soupçonne Dayan d’être à la manoeuvre. Dans son journal intime il rapproche l’état d’esprit qui a conduit à ce crime avec la politique de représailles et de la gâchette facile prônée par Ben Gourion et Dayan. L’amertume et colère apparaissent clairement dans ses propos :
Sans le vouloir nous avons relâché les freins spirituels et moraux qui s’opposaient à l’esprit de vengeance qui entraine l’âme vers le Mal, et par cela nous avons permis et rendu possible qu’un bataillon de parachutistes élève le principe de vengeance à la hauteur d’une valeur morale nationale.
Ceci illustre bien le fossé qui sépare les positions et les conceptions de Sharett et celles de Dayan qui voyait dans ce bataillon le ferment nourrissant de l’armée.
L’écrivain écossais Peter Ritchie Calder rend visite à David Ben Gourion à Sdé Baker en 1954.
Les relations entre Dayan et ben Gourion demeurent étroites. Alors que Ben Gourion n’était plus aux affaires, Dayan lui rendait souvent visite à Sdé Boker pour lui rendre compte et lui demander conseil. Il accepte de l’aider dans le projet que ben Gourion mène avec enthousiasme depuis son installation dans le Néguev. En fait, depuis que Ben Gourion s’est retiré à Sdé Boker, il tente par tous les moyens de ranimer l’esprit du volontariat au sein de la jeunesse. Inquiet par le sort des nouveaux habitants arrivés sans expérience et vivant dans l’insécurité, il veut susciter un mouvement de volontariat des jeunes sabras afin qu’ils viennent en aide aux nouveaux moshavim d’immigrants.
Cela ne fonctionne pas très bien jusqu’au moment où Dayan s’implique et obtient des résultats remarquables avec l’aide de ses camarades de jeunesse des premiers moshavim. Plusieurs centaines de jeunes garçons et de jeunes filles partent s’installer pour plusieurs mois dans les nouveaux villages afin de former aux métiers agricoles, apporter une aide sociale, prendre en charges des services médicaux, donner des cours aux enfants et faire acquérir aux adultes des bases en hébreu. Enfin par leur présence, ils diminuent le sentiment d’insécurité des habitants terrifiés par les risques d’infiltration.
Arrivant directement d’un hôpital où il a reçu des soins, David Ben Gourion accompagné bien entendu de Moshé Dayan, participe à un rassemblement organisé par les habitants de Nahalal. Shmuel Dayan, le père de Moshé, prend la parole au nom de la génération des fondateurs et exprime ses craintes qu’une longue absence des garçons et des filles nuise aux vieux moshavim. Son fil soutient l’entreprise avec énergie et enthousiasme. A la différence de son père il ne rejette pas la possibilité qu’une partie des jeunes s’intègrent au sein des nouveaux établissements.
Le bureau de Dayan devient l’adresse des jeunes des moshavim où se règlent les problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur travail au sein des nouveaux moshavim. Dayan met à leur disposition les services de Tsahal et il se déplace dans les moshavim pour encourager à la mobilisation. L’entreprise fut un succès et aida les villages de nouveaux immigrants à surmonter leur détresse des premiers temps. Quand Dayan se tournera vers la politique, les jeunes des moshavim constitueront sa base politique la plus fidèle.
Le retour de Ben Gourion au ministère de la Défense stabilise momentanément la vie politique et donne un peu d’air à Moshé Dayan. Dans une lettre qu’il écrit un mois plus tard, il explique que les choses sont plus faciles pour lui et pour tout ce qui relève des affaires de sécurité, que « les choses s’éclaircissent et avancent, et que des alternatives se dessinent de plus en plus. » Il comprend très bien que l’abîme qui sépare l’approche de Ben Gourion de celle du Premier Ministre Moshé Sharett sur les questions politiques et sécuritaires, est profond et ne peuvent converger. En 1955 la situation internationale au proche-Orient et l’état des relations d’Israël avec ses voisins, et en particulier avec l’Egypte, vont en se compliquant. Gamal Abdel Nasser, devenu président de l’Égypte, adopte une politique pan-arabe agressive. Comme le président inden Jawaharlal Nehru et le président yougoslave Josip Broz Tito, il opte pour une politique de neutralité dans le cadre de la guerre froide et commence à loucher vers l’est.
Après les morts de Qibya et plusieurs raids de représailles contre la Légion arabe de Jordanie, le commandement jordanien fait les efforts nécessaires pour que le calme revienne à la frontière. Les cas d’infiltrations violentes depuis la rive ouest (Cisjordanie) se font plus rares en 1954. Par contre les actes de sabotages et de meurtres à partir de la bande de Gaza ne cessent pas bien que les autorités égyptiennes s’opposent aux initiatives prises par les réfugiés palestiniens. Pourtant plusieurs opérations violentes ont été perpétrées par des agents au service du quartier général égyptien. Ils agissent en profondeur à l’intérieur du territoire israélien à des fins d’espionnage et souvent ils s’en prennent aux juifs qu’ils croisent. Deux jours après le retour de Ben Gourion au ministère de la Défense, une poignée d’espions venue de Gaza pénètre dans la région de Ré’hovot, sabotent des installations et tue un passant juif. En parallèle tout le pays s’émeut de l’exécution capitale le 31 janvier 1955 de deux des prisonniers du Caire, malgré les nombreux et continus efforts pour mobiliser des personnalités du monde entier en faveur d’un allègement des peines des détenus de l’affaire Habish et pour empêcher les exécutions capitales. À Jérusalem on a le sentiment que Nasser veut éviter les exécutions mais les condamnations à mort récentes d’activistes parmi les frères musulmans vont l’empêcher d’intervenir en faveur des juifs. Les détenus, dont la jeune Marcelle Ninio, sont condamnés à de lourdes peines de prison et les deux chefs du réseau Moshé Marzouk et Shmuel Ezer sont exécutés.
En réponse aux incursions à partir de la bande de Gaza, une unité de parachutistes attaque dans la nuit du 28 février un campement militaire et une station de chemin de fer dans la zone de Gaza. L’opération Flèche noire se transforme en un affrontement violent. Une unité égyptien et envoyée en renfort depuis e sud de Gaza et tend une embuscade. Les parachutistes sont confrontés à une forte résistance près du campement militaire égyptien. A l’issue du combat, on compte 38 soldats égyptiens tués et 31 blessés. 8 parachutistes israéliens sont morts.
La réaction de Nasser à ce raid est à l’opposée de celle des jordaniens. Au lieu de calmer le jeu à la frontière, il lâche les freins et les actes hostiles vont en augmentant. EN outre, il met sur pied une unité spéciale de Feddayin, c’est à dire « ceux qui sont prêts à donner leur âme à la guerre sainte », chargée d’actions de sabotage aux frontières d’Israël. Moshé Dayan a donc un problème. Il apparaît que la politique de représailles qui a partiellement fonctionné à la frontière jordanienne, échoue totalement à la frontière égyptienne. Dayan développe à présent l’idée que les actions de représailles peuvent s’apparenter à des enchères inversées : gagnera celui qui sera prêt à encaisser le prix le plus élevé. Israël doit donc accepter de choisir un prix plus élevé que l’autre camp, même si cela peut l’entrainer dans une guerre totale. Déjà au début de l’été 1954, il exprima cette opinion lors d’une visite chez David Ben Gourion, alors redevenu simple citoyen. A cette époque, Ben Gourion recevait des soins dans un hôpital et Dayan lui fit partager sa vision d’une politique offensive à propos des incidents de frontières. Quand Ben Gourion lui demanda s’il voulait la guerre, Dayan répondit clairement : « je ne souhaite pas que nous prenions l’initiative d’un conflit mais je m’oppose à toute concession sur une quelconque parcelle de notre territoire, et si à cause de cela les arabes voulaient entrer en guerre, je ne m’y opposerais pas. Leurs menaces ne doivent pas nous empêcher d’agir. »