A l’Etat major de la Haganah

Vote à l’ONU sur le partage de la Palestine en 2 états – Résolution n°181 du 29 novembre 1947

En 1947 les nuages de la guerre assombrissent le ciel. L’ONU s’apprête à prendre position sur la partition du pays et on envisage la possibilité que le Yshouv soit forcé de faire face à une attaque généralisée des pays arabes. David Ben Gourion prend en main les affaires de sécurité au nom de la direction sioniste. Au mois d’avril 1947, Dayan est affecté à temps plein à l’Etat major de la Haganah. Il est nommé commandant du département des affaires arabes. À ce poste il doit enrôler des agents qui devront s’infiltrer  au coeur du camp arabe afin de fournir à la Haganah des informations de première main et actualisées. A présent l’armée juive s’agrandit rapidement et se modifie en profondeur. Debut 1948, la Haganah comptera 30.000 engagés répartis en douze brigades regionales qui supporteront l’effort de guerre contre les palestiniens et les volontaires venus des pays arabes. Parmi les officiers de cette armée en formation on distingue trois groupes. Les vétérans de la Haganah qui acceptent sans sourciller le leadership de Ben Gourion ; les commandants du Palma’h liés au mouvements des kibboutz dirigé par Israel Galili, chef de l’Etat major national ; les vétérans de l’armée britannique qui apportent avec eux une expérience et un professionnalisme militaire important.

Allégresse dans les rues de Tel-Aviv, le soir du vote à l’ONU

Dayan est un fidèle de Ben Gourion mais c’est un oiseau étrange et indépendant n’appartenant à aucun courant. Qui plus est il n’a jusqu’alors exercé aucune fonction de commandement. Il n’est pas directement impliqué dans le processus de transformation rapide de la Haganah en armée régulière. Dans ses nouvelles fonctions il conserve principalement un rôle de conseiller et non d’acteur.

Cependant il est considéré comme un officier supérieur. Le 1er janvier 1948 ainsi que le lendemain, Ben Gourion réunit les commandants de l’armée et des renseignements pour débattre de la ligne.a adopter à l’égard des palestiniens. Dayan est invité en tant que spécialiste du sujet. Il est admis au comité restreint qui incluent les chefs du renseignement et les responsables du département politique de l’Agence juive afin de coordonner la politique envers les arabes d’Israel.

Image

Zohar

Soldats de la Haganah lors des combats de Mismar HaEmeq début avril 1948

Avec le renforcement de la lutte armée des palestiniens et la participation des volontaires arabes venus des pays voisins, les druzes sont enclins eux aussi à prendre parti pour les palestiniens. Debut janvier 1948 la ligue arabe crée l’armée arabe de liberation et place à sa tête Fawzi al-Kaoudji, un officier vétéran de la révolte arabe de 1936. Arrive aussi dans la région de Haïfa un officier druze de l’armée syrienne qui forme une compagnie de combattants issus de villages druzes et de volontaires venus des monts druzes de Syrie. Debut avril 1948, Kaoudji attaque avec deux des brigades de l’armée de liberation le kibboutz Mishmar HaEmeq près de la route Meggido-Haïfa. De son côté, la compagnie druze attaque à l’ouest de la vallée de Jezreel le kibboutz Ramat Yo’hanan proche de la route conduisant à Nazareth. Le combat dure quatre jours. Les forces de la Haganah réussissent à repousser les druzes. Cependant au cours des combats, il s’avère que Zohar, le jeune frère de Moshé Dayan, qui venait de se marier et de terminer un cours pour officier, est tué en montant à l’assaut à la tête de ses hommes.

Zohar Dayan avant son incorporation dans l’armée anglaise

Moshé Dayan et Israel Guéfen, le mari de sa sœur Aviva, partent pour identifier le corps. Dayan écrira laconiquement : la maison est endeuillée. La guerre se poursuit et les nombreux fils qui tombent chaque jour [problème traduction page 62 premier paragraphe]

Il s’attarde sur la tristesse de leur mère. « Maman était plus proche de Zorik que d’Aviva ou de moi. En partie parce qu’il avait été l’enfant de sa vieillesse, mais surtout à cause de son caractère. Il possédait une vitalité extraordinaire, une joie débordante et rayonnante. Dès sa naissance il avait profité de la vie comme si elle n’avait pas de limite. » Il ajouta un paragraphe intéressant qui témoigne aussi de sa façon de considérer sa famille :

Zohar n’était pas comme les autres membres de la famille. Pour nous, quel que soit le chemin que nous empruntions, quelle que soit la chose à laquelle nous croyions, nous éprouvions des hésitations. Il y avait toujours un côté face à la pièce. Et voici que naissait et grandissait sur les genoux de notre mère un fils rempli de confiance et d’assurance. Quand il était de bonne humeur, aucun nuage ne pouvait assombrir son ciel. Puis il revient à sa mère : « Je savais que cette blessure ne pourrait cicatriser durant le reste de sa vie. »

Suite à la défaite des druzes à Ramât Yo’hanan, leurs leaders dans le pays décident de changer de camp. Les villageois cessent le combat et certains se portent volontaires pour aider les juifs.

Image

Combats dans la vallée du Jourdain

A partir du milieu du mois d’avril la Haganah adopte une tactique qui va lui permettre de battre les palestiniens à plat couture. Les juifs conquièrent des pans importants de territoires attribués à l’état juif selon la décision l’ONU. De nombreux anciens compagnons de Dayan sont alors déjà à des postes de commandants de bataillons ou de brigades et ils combattent avec succès dans tout le territoire.

Shimon Avidan, premier commandant de la brigade Guivati

Ainsi Moshé Carmel, son compagnon de cellule à Saint Jean d’Acre est à présent le commandant de la brigade qui a conquis ‘Haïfa et qui opère en Galilée occidentale. Shimon Avidam, le commandant du département allemand durant la seconde guerre mondiale, est devenu le commandant de la brigade opérant dans la région de Tel-Aviv, sur la route de Jérusalem et dans le sud de la Shéphélah. Enfin Ygal Allon commande la brigade du Palma’h qui a conquis Safed et Tibériade et qui opère en Galilée.

Dayan est impatient. Il veut participer au combat de manière active. Au début du mois de mai, son mentor et ami; Its’hak Sadeh est chargé de constituer une nouvelle brigade qui doit devenir la première brigade blindée dès que les chars, acquis en Europe, pourront entrer dans le pays à la fin du mandat britannique. Dans le cadre de cette nouvelle brigade, il propose à Dayan de créer un bataillon de commandos, répondant ainsi à ses voeux les plus chers.

Carte décrivant l’offensive syrienne dans la vallée du jourdain

Le 15 mai, alors qu’il travaille à la constitution de son bataillon, cinq armées arabes envahissent le territoire d’Israël. L’armée syrienne attaque au sud du lac de Tibériade et s’approche de Dégania, le lieu de naissance de Dayan. Plusieurs forces sont présentes sur place : des combattants des kibboutz environnants , des unités de la brigade Golani et des éléments de la brigade d’Ygal Allon dépêchée en urgence dans le secteur. A eux se joignent des volontaires des moshavim de l’Emeq, dont de nombreux habitants de Nahalal. Le quartier général décide d’envoyer Moshé Dayan dans la vallée du Jourdain pour coordonner les actions de toutes les forces afin de freiner l’armée syrienne qui menace d’enfoncer le front dans ce secteur.

Avant son arrivée sur place, le 19 mai, les habitants des deux kibboutz proches de la frontière sont évacués. Les syriens conquièrent Tséma’h situé au carrefour des routes conduisant au sud vers Beth Shéan et à l’ouest vers Nazareth. Au centre de Tséma’h se trouve un poste de police fortifié qui tombe aux mains des syriens dès le début de l’attaque. La contre-offensive du Palma’h échoue. les syriens s’apprêtent à donner l’assaut sur Degania afin d’occuper le pont sur le jourdain et l’entrée du lac de Tibériade. Dayan comprend qu’il lui est impossible de reculer et qu’il doit stopper les syriens ici et maintenant.

Puisqu’on ne lui a pas limiter précisément ses compétences, il ne s’embarrasse pas avec les questions de formalisme et il fait comme il peut. Il nomme l’un de ses camarades de Nahalal commandant de Degania Beth, ce kibboutz dans lequel son père, 30 ans plutôt, avait incendié la baraque principale en fuyant les émeutiers arabes. A présent les deux Degania se trouvent sur la ligne de front face à une armée de métier équipée de canons et de chars. Dayan ordonne à un groupe de volontaires d’occuper une hauteur située à côté des bords du Kinnereth (Lac de Tibériade), au nord des kibboutz attaqués et sur un flanc de la force syrienne à l’assaut. On fait venir un canon léger de 20 mm capable de porter atteinte aux chars. En même temps une batterie de quatre canons de campagne désuets est positionnée sur une hauteur à l’ouest du Jourdain.

L’assaut des syriens contre les deux Deganiah durent neuf heures. Deux chars syriens arrivent à percer la clôture mais ils sont stoppés à l’aide de cocktails Molotov et par une roquette de type PIAT (Projectile Infantry Anti Tank) ; l’une des trois que Dayan a fait venir dans la vallée du Jourdain. A 1h de l’après-midi la situation s’équilibre et Dayan décide d’utiliser les canons de campagne. Ils ne sont pas équipés de dispositif de visée mais la précision du tir n’est pas ce qu’il y a de plus important étant donné que les syriens sont dispersés sur une zone assez large. C’est l’effet psychologique qui est recherché. C’est la première fois que des juifs utilisent des canons. Les syriens se replient dans toutes les directions et se replient à l’est.

Tsema’h vu depuis le poste de police pendant la guerre d’indépendance

Dayan résume ainsi le combat :  » Deux facteurs ont permis de briser l’offensive. L’assaut a été stoppé par les défenseurs des Deganiah et de Beit Yéra’h puis l’ordre d’évacuation donné par les syriens après que les obus de canons aient frappé l’immeuble de la police et les maisons de Tséma’h. » A la tombée de la nuit le front est redevenu calme et Dayan estime que les syriens s sont retirés de Tséma’h. Il part avec quelques soldats en direction du bâtiment de police et trouve la place « vide, sans vie et abandonnée. » A côté des corps de soldats syriens éparpillés sur le sol, ils trouvent les corps des soldats juifs tués lors de la première retraite et ceux de la contre-attaque ratée. le choc qui atteint Dayan à la vue de ces corps se reflète très bien dans ses écrits quelque peu emphatiques :

Un combat dur, tragique et déprimant. Beaucoup de sang jeune a coulé ici. Non pas du sang de soldats habitués à la guerre mais le sang de jeunes qui ont rencontré la mort les yeux grands ouverts. Les blessés ont été abandonnés gémissant sur le bord de la route. Leurs camarades pris sous le feu n’ont pas pu les panser et les rassembler. Face aux chars, aux canons et aux blindés syriens, les défenseurs ont combattu avec un armement misérable… Un peuple non préparé et non équipé pour la guerre. Ce fut un combat héroïque, désespéré, le dos au mur, le combat pour Déganiah.

Image

Le Bataillon 89

En juin 1948, l’ONU proclame une trêve d’un mois, du 11 juin au 9 juillet. Dayan repart pour s’occuper de la formation de son bataillon qui s’appelle à présent : bataillon de raid motorisé 89″. La mission de ce bataillon est de mener des raids en profondeur en terrain ennemi. Dayan choisit lui-même ses hommes qui proviennent de quatre origines : des camarades de Nahalal et d’autre villages de l’Emeq, des membres du Le’hi dissout après la proclamation de l’État d’Israël et la formation de Tsahal, des vétérans des unités des opérations de la Haganah de Tel-Aviv restés inoccupés après la prise de Jaffa et des volontaires juifs de la diaspora venus épauler leurs frères en guerre. Le bataillon est équipé de jeeps armés de mitrailleuses et de chenilles achetées aux USA à des marchands de ferraille. Pour Dayan cela représente un défi physique difficile qu’il décrit ainsi :

Moshé Dayan sur sa jeep pendant l’opération Dany en juillet à Los

Je ne ressentais pas l’absence de monoeil. Quand je marchais dans l’obscurité je ne trébuchais pas. Mes pieds trouvaient par eux-mêmes leur chemin. Au vacarme des tirs et des obus, mon corps ne répondait pas par la reculade et l’émotion. Ce n’était pas du courage mais simplement de l’indifférence physique au sifflement et au fracas. Même lorsqu’il y avait des impacts autour de moi ou des projections de débris, je n’y voyais pas de danger. Quand on voit où tombent les obus, on peut les éviter plus facilement.

Cependant, Dayan n’est que rarement obligé de marcher à pied la nuit. Il commande son bataillon depuis sa jeep et en général de jour.

Image

L’Altanela

L’Altalena en feu en face le la plage Frydman de Tel-Aviv le 20 juillet 1948

Le 20 juin 1948, alors qu’il est en train de préparer son bataillon pour le combat, Dayan est appelé en toute hâte par le commandant de la brigade Its’ak Sadeh. Un navire est arrivé devant les plages du pays transportant des armes en environ 900 immigrants. Le navire a été affrété et armé par les hommes de l’Irgun qui l’ont rebaptisé Altalena, du nom de plume de Waldimir Zeev Jabotinsky, le fondateur du mouvement d’où a jailli l’Irgun dans les années 30. Le bateau mouille à côté d’une plage déserte non loin de kfar Vitkin et les militants de l’Irgoun commencent à décharger les armes sur la plage.ben Gourion et l’Etat major de Tsahal voient dans cette affaire une rupture brutale de l’accord selon lequel, l’Irgun devait être dissoute, transmettre son équipement et s’intégrer à Tsahal. De plus, Ben Gourion considère que les agissements de cette organisation constituent une mutinerie contre la souveraineté de l’Etat. Sadeh ordonne à Dayan de partir pour la plage et de récupérer les armes.

Dayan consigne à la base les soldats issus du le’hi qui étaient eux-mêmes d’anciens dissidents, et pour plus de sécurité il les désarme. Il fonce vers la zone accompagné d’une compagnie de fidèles de l’Emeq. De petites quantités d’armes sont déjà entassées sur la plage et les hommes de l’Irgun cernent la zone. et menacent tous ceux qui tenteraient d’approcher. Dayan leur lance un ultimatum auquel répondent des tirs. Deux de ses soldats sont tués et six autres blessés. En représailles, Dayan ordonne d’arroser la plage au mortier. Les militants de l’Irgun se rendent tandis que le navire reprend la mer en direction des pages de Tel-Aviv. Là s’engage un combat au bout duquel le navire prend feu et sombre. La manière avec laquelle, trente années plus tard, Dayan racontera cet épisode montre son état de tension par rapport à ce souvenir déplorable mais aussi sa loyauté inébranlable envers Ben Gourion : « Je n’étais pas un expert des relations complexes existantes entre l’Irgun et le gouvernement israélien mais je n’avais aucun doute sur mon obligation à obéir à l’ordre. Cet épisode n’était pas représentatif de la réalité : ce n’était ni le bon combat, ni le vrai ennemi. »

Image

David Marcus

David Daniel « Mickey » Marcus. En 1966, Kirk Douglas a tenu le rôle du Colonel Marcus dans le film L’Ombre d’un géant (Cast a Giant Shadow)

Avant qu’il soit appelé à combattre le véritable ennemi, une autre triste affaire requiert son attention. Le 11 juin 1948, le colonel David Marcus, officier juif américain qui s’était volontairement engagé pour aider Tsahal en guerre contre les arabes, est tué accidentellement. Le colonel Marcus avait été affecté au commandement des combats contre la légion arabe dans les monts de Jérusalem. Il fut tué par une nuit sombre alors qu’il sortait de sa tente enveloppé dans un drap blanc. le garde qui n’avait pas compris ce qu’il lui disait en anglais, crut qu’il s’agissait d’un soldat arabe et lui tira dessus. Il fut décidé de l’enterrer à West Point, l’école où il avait reçu sa formation d’officier. Moshé Dayan et Yossi Harel sont désignés pour accompagner le cercueil jusqu’à sa dernière demeure.

Abraham Baum, officier plusieurs fois décoré et célèbre pour avoir commandé une opération commando de récupération de prisonniers américains en territoire allemand en 1945, dont le beau-fils du Général Patton.

Bien que cela soit son premier voyage aux USA, Dayan ne réussira pas à voir autre chose que West Point et quelques appartements de Manhattan. Dans l’un d’entre eux ill rencontre la famille de Marcus, le délégué de Ben Gourion à New York, Teddy Kollek et des personnalités juives venues se délecter du parfum d’un soldat israélien. Dayan s’empresse de rejoindre son bataillon qui s’apprête à participer à l’opération Dany contre la légion arabe. Le seul bénéfice qu’il tire de son voyage aux USA est sa rencontre avec Abraham Baum, donateur juif et officier expérimenté de l’armée américaine durant la seconde guerre mondiale. L’officier lui parle beaucoup de l’importance de la vitesse et du mouvement lors des combats. Dayan est impressionné et quelques jours plus tard, il appliquera cette règle : « il faut s’efforcer de se déplacer sans arrêt et diriger son action au coeur du combat. Le commandant dot se trouver sur la ligne de front avancée, à la tête de son unité ou non mois de là afin de ne pas apprendre ce qu’il se passe de la bouche des autres, mais de voir et de sentir les choses par lui-même ».

Sur le chemin du retour vers Israël, il accepte une mission importante mais pas exactement de nature militaire. Il apporte en Israël des valises pleines des premiers billets banques de l’Etat d’Israël qui ont été imprimés aux USA.

Image

L’opération Dany

Moshé Dayan présente son plan avant l’opération Dany

De retour à la base de son bataillon, Dayan retrouve ses soldats s’apprétant à partir au combat dans les prochaines heures. Pendant la trêve, Tsahal s’est sensiblement renforcée, d’importantes quantités d’armement sont arrivées en Israël, dont des chars, des canons et des avions de combat. A fin de la trêve, le 9 juillet, Tsahal est prête à prendre l’initiative d’offensives, au moins sur quelques fronts. L’attaque principale concerne le front central. Les forces de la Légion arabe sont stationnées dans les villes arabes de Lod et de Ramleh, à proximité du coeur juif, Tel-Aviv. Tsahal concentre une force de quatre brigades pour conquérir ces deux villes et une douzaine de villages sur les premières hauteurs le long de la route menant à Jérusalem afin de repousser les jordaniens plus à l’est.

La majorité des officiers supérieurs de cette armée qui est rassemblée pour la bataille sont des compagnons de Dayan du début de sa trajectoire au sein de la Haganah et certains ont été ses élèves. Le commandant de toute l’opération est Ygal Allon, parvenu à cette fonction après des succès impressionnants à la direction du Palma’h et pendant les combats en Haute-Galilée. Il a maintenant un grade équivalent à celui de général. Dayan a le grade de commandant et il est l’un des douze commandants de bataillons participant à l’opération. Il est évident qu’il commande l’une des meilleures formations de Tsahal et qu’au-dessus de ce bataillon plane l’esprit offensif et hardi de son commandant.

La brigade d’Its’hak Sadeh à laquelle apparient le bataillon de Dayan est chargée d’attaquer le flanc nord du théâtre des opérations, d’occuper l’aéroport international de Lod, de faire la jonction avec le village juif de Ben Shemen qui est assiégé depuis plusieurs mois et de conquérir plusieurs villages au sud de Lod. Au retour de Dayan des USA, ses compagnies se sont déjà déplacées en direction de deux villages sur des collines situées près des monts de Samarie. En son absence, son adjoint a planifié l’attaque. C’est un officier vétéran de la brigade juive combattante qui a accumulé de l’expérience sur le front italien au cours de la seconde guerre mondiale. Il a préparé son plan en appliquant les meilleures méthodes apprises au sein de l’armée britannique. D’abord il souhaite commencer par bombarder les objectifs au canon et au mortier, puis ensuite, s’approcher prudemment et conquérir. Les paroles d’Abraham Baum résonnent probablement aux oreilles de Dayan. Au cours de l’opération, il modifie les ordres et quand la caravane de Half-tracks est stoppée par un feu nourri provenant de l’un des villages, il ordonne à l’un de ses commandants de compagnie de monter à l’assaut directement face au feu. lui-même se place en tête de la seconde compagnie et prend d’assaut le second village. C’est le premier engagement du bataillon et le succès encourage les soldats ainsi que Dayan qui va prendre des dispositions nettement plus audacieuses.

Lors de son séjour à New-York on lui avait demandé de se présenter dès son retour à Ben Gourion qui exerçait à la fois les fonctions de premier ministre et de ministre de la défense. Mais il avait choisi de rejoindre son bataillon qui s’était déjà mis en marche. Après que celui-ci ait rempli ses premières missions et bien qu’il soit encore engagé dans des combats contre des unités de la Légion arabe qui s’accrochent aux flancs des montagnes, Dayan part pour le bureau de Ben Gourion. L’Etat major n’est pas satisfait du travail du commandant de Jérusalem et Ben Gourion propose à Dayan de prendre le commandement de la ville. C’est une proposition qu’il est bien difficile de repousser. Jérusalem est l’un des théâtres d’opération les plus importants de la guerre, la mission est particulièrement stimulante et elle représenterait un bon en avant dans la hiérarchie militaire. Mais Dayan demande que sa nomination soit effective qu’après la fin de la bataille. Il s’explique ainsi face à Ben Gourion :

« Je viens juste d’être nommé commandant de bataillon. Je n’ai pas encore combattu. Ce matin a débuté le premier engagement et en aucune façon je ne veux abandonner le bataillon et son commandement. Le commandant d’un bataillon de commandos doit se battre à la tête de ses hommes. A Jérusalem, je devrai ordonner à d’autres de se battre. Ici je le fais moi-même. »

Ben Gourion est impressione et accepte sa requête. Le sujet reviendra à l’ordre du jour à l’issue des combats.

Image

Au nord de Lod

La carte de l’opération Dany du 10 au 18 juillet 1948

La nuit est tombée lorsque Dayan repart pour le champ de bataille. Comme il craint de tomber dans une embuscade, il décide d’attendre l’arrivée de l’aube et il s’endort dans un champ de maïs. Dans ses mémoires on retrouve un passage poétique intéressant à mentionner :

« Alors qu’à présent j’étais devenu un homme de la cavalerie et je faisais la guerre sur un véhicule en mouvement, rien n’était plus proche et plus apaisant que la terre. la chaleur que se dégageait d’elle, le sable, la poussière, ce refuge et cet abris dans ses replis, tout m’était si familier. Toujours loyale, on pouvait compter sur elle pendant le combat et poser sa tête sur elle pour se reposer la nuit. »

Lorsqu’il rejoint son bataillon et malgré les appels à la prudence de ses hommes, il monte sur une colline dont l’autre versant est encore aux mains des soldats de la Légion arabe et sous la menace de leurs fusils et de leurs mitrailleuses. Il ordonne à l’une de ses compagnies de monter à l’assaut et de prendre la hauteur à l’ennemi. une autre compagnie s’occupe de dégager un blindé jordanien équipé d’un canon qui s’est retourné sur le côté de la route près de Beit Nabala et qui a été abandonné.

Dayan commence à réfléchir au combat suivant. De sa position sur la hauteur, il aperçoit la ville de Lod située à quelques kilomètres de là. Dayan et son bataillon sont à présent positionnés au nord-est de la grande ville arabe. Il suppose que la défense de la ville depuis cette direction est plus faible et qu’une attaque à partir de sa position surprendrait ses défenseurs. [NDT : Les arabes s’attendent à une attaque venant de l’ouest, c’est à dire de Tel-Aviv et non de l’est aux mains de la Légion arabe] 

Alors qu’il est en train de se creuser la tête, il reçoit une demande du commandant de la brigade Yphta’h qui a, depuis le début des opérations, attaquer à partir du sud, et dont les hommes se trouvent à présent sur flanc sud-est de la ville. Le commandant de la brigade demande à Dayan s’il peut appuyer ses hommes pendant l’assaut de la ville. Ce dernier lui promet d’arriver rapidement sur la zone.

Des soldats de la brigade Yphta’h devant un blindé jordanien capturé le 15 juillet 1948 pendant l’opération Dany

Dayan ordonne le rassemblement de son bataillon. Il laisse à une compagnie le soin de terminer le combat dans les hauteurs et il positionne le bataillon en convoi le long de la route avec à sa tête le blindé jordanien équipé de son canon déboité suite à l’attaque qu’il a subie. Le moteur a été rapidement réparé, la radio a été réglée sur le canal du bataillon et un officier d’un bataillon d’artillerie a envoyé l’un de ses soldats pour servir le canon. Le blindé a eu droit à une courte cérémonie d’accueil et a été baptisé la « terrible panthère ». La présence du blindé équipé de son canon a insufflé un sentiment de sécurité dans le coeur des combattants. Derrière la terrible panthère s’avance une section de reconnaissance avec ses jeeps, suivies des compagnies d’automitrailleuses. Le convoi se termine par la compagnie de jeeps équipées de mitrailleuses. Dayan est monté dans la seconde automitrailleuse de la compagnie de tête. Le bataillon a subi des pertes au cours des combats dans les villages et privé de la compagnie restée pour terminer les combats au nord de la ville, il se réduit à seulement 200 soldats.

Image

Une légende est née

Le 82ème bataillon de chars de Tsahal après la prise de l’aéroport de Lod

C’est ainsi que débute l’un des combats miraculeux de la guerre d’indépendance d’Israël. Malgré les critiques entendues sur le risque excessif pris par Dayan et ses hommes, des générations de soldats de Tsahal ont appris cette histoire héroïque. Peu de temps après la fin des combats, Dayan en publiera les détails dans « Ma’arakhot », la revue mensuelle des officiers de Tsahal. Le secret du succès résidait essentiellement dans la puissance de feu utilisée et dans la vitesse de déplacement. A propos du court briefing à ses hommes avant leur départ pour le combat, Dayan dira :

« Arrivés au contact de l’ennemi, il faut se déployer sur les côtés, contourner et prendre de flanc les positions ennemies malgré les tirs. De cette façon, non seulement on utilise durant le combat toute notre puissance de feu, mais on diminue aussi le risque d’être touché. le mouvement doit être réalisé rapidement. C’est la vélocité qui stupéfie l’ennemi. »

En 47 minutes, le bataillon de Dayan pénètre et brise les défenses de Lod, traverse la ville, arrive jusqu’aux abords de Ramleh au sud de Lod, puis revient en essuyant un feu nourri provenant de deux bâtiments de police fortifiés et occupés par des soldats de la Légion arabe. A chaque fois que le convoi stoppe pour une raison quelconque, Dayan descend de son véhicule, continue à pied pour comprendre la cause de l’arrêt et presse les unités de tête de reprendre l’avancée. « ma voix était enrouée et on ne m’entendait plus » racontera-t-il. Neuf de ses soldats sont tués et 17 autres blessés pendant l’attaque. Tous les véhicules sont touchés et certains, dont l’automitrailleuse de Dayan, doivent être remorquées ou poussées tout le long du chemin.. les automitrailleuses sont atteintes par des grenades envoyées depuis les maisons qui bordent la route. La puissance de la réplique des jeeps et des automitrailleuses provoque la stupéfaction et la panique dans la ville. Quand Dayan et ses soldats entament le chemin du retour vers le nord après l’enfer, ils aperçoivent les combattants du Palma’h qui pénètrent rapidement dans la ville afin de s’en rendre maître.

Il ne fait aucun doute que le raid osé de Dayan et de ses hommes sur Lod fragilisé la défense de la ville et a facilité le travail des unités régulières lors de la prise de la ville. Mais le prix est lourd. Dayan se souvient de l’image de son bataillon lors du retour à sa base : « Les récits et les descriptions des derniers combats semblaient enthousiasmants mais la vision du bataillon ou du moins de ce qu’il en restait l’était beaucoup moins. » Comme tous les commandants de bataillons de Tsahal du temps de la guerre, Dayan ne possède aucune expérience ou une formation avancée de l’organisation d’unités importantes sur le champ de bataille. Il agit selon ce que lui dicte son instinct et son tempérament. On peut supposer que s’il avait possédé une expérience militaire professionnelle, il ne se serait pas mis en danger et il n’aurait pas foncé au coeur du dispositif ennemi sans appui et sans préparation rigoureuse. Il n’y avait aucune sophistication professionnelle dans ce qu’il a fait et il est passé à deux doigts de la catastrophe. En fin de compte, seule la victoire compte. L’instinct et l’audace de Dayan lui apportent la réussite et la gloire.

Ruth revient de Rome par avis et à sa grande surprise elle atterrit sur l’aéroport internationale de Lod qui vient d’être conquis et remis en service immédiatement. Elle ignore que pendant ce temps son mari se trouve au coeur de l’enfer. Elle ne le retrouvera que le soir quand il revient à la maison pour un petit moment afin de se doucher et de se profiter d’un repos de courte durée. C’est seulement alors que Ruth comprend quels dangers son mari a traversé pendant la journée.

Image

Le Neguev

Mouvements des 17 et 18 juillet 1948 de l’opération « Mort à l’envahisseur »

Dayan fait tout ce qui est en son pouvoir pour remettre en état son bataillon et il se réjouit que la majorité des blessés reviennent dans leur compagnie malgré leurs blessures et leurs pansements. Les combats durent dix jours, du 9 au 19 juillet. Quand une nouvelle trêve se profile que pourrait imposer le Conseil de sécurité de l’ONU, il devient urgent de briser le siège imposé par l’armée égyptienne sur le Néguev. Dayan reçoit l’ordre de placer son bataillon sous le commandement de la brigade Guivati qui opère dans le sud de la plaine cotière. Lors du dernier jour des combats il est décidé de conquérir plusieurs localités. La plus éloignée est Karatiya sur la route conduisant de la ville de Ma’gdal (Ashkelon) au bord de la Méditerranée jusqu’à Hébron. L’armée égyptienne est positionnée le long de cet axe et isole le sud du reste des forces de Tsahal. Karatiya étant trop éloignée, les unités régulières ne peuvent pas rallier la zone à temps. La mission est confiée au bataillon motorisé de Dayan.

Aba Kovner en 1948, avec les défenseurs de Yad Mordékhaï

Pour la première fois, Dayan doit opérer en terrain inconnu sous le commandement d’une brigade régulière dont les modes opératoires sont différents et étrangers à son état d’esprit. Il racontera : « Le Néguev m’était étranger. Un terrain à découvert, sans verger, plat et gris, poussiéreux, des villages misérables fait de briques de boue et sans pierre, sans verdure et où la joie de vivre semblait absente. » Il est très critique à l’égard de la conduite des commandants de bataillons qui dirigent le combat depuis l’arrière par radio. Il propose d’attaquer de jour mais il se confronte à l’opposition des autres bataillons habitués à attaquer la nuit. Il émet des réserves sur le style passionné des proclamations de la brigade composés par Aba Kovner, une sorte de commissaire politique de la brigade Guivati. Kovner comptait parmi les dirigeants clandestins du ghetto de Kovno, puis il avait combattu dans les rangs des partisans russes durant la seconde guerre mondiale. « L’ordre du jour, Morts aux envahisseurs, sonnait aux oreilles comme une proclamation du KKL. Je n’avais pas besoin d’idéologie pour foncer sur le Néguev. Le concept d’envahisseur convenait dans le contexte de la guerre contre les nazis mais semblait grandiloquent dans le cadre de notre guerre contre les arabes. »

Eléments de la brigade Guivati dans le Néguev en 1948

Cette fois-ci la difficulté réside dans le fait que l’atteinte de l’objectif principal suppose une percée à travers plusieurs positions fortifiées. Dayan décide d’éviter autant que possible les confrontations superflues et se fraye un chemin de contournements, sous le feu des mitrailleuses, des mortiers et des canons. Après avoir traversé les lignes, Dayan se retrouve déjà derrière les égyptiens alors que l’assaut sur l’objectif n’a pas encore commencé et qu’une partie de ses équipements sont touchés et ont du mal à traverser une rivière aux pentes escarpées. Dayan craint que ses hommes soient épuisés après huit jours de combats sans interruption. Il ordonne à ses soldats de creuser un passage dans la terre molle des pentes de la rivière. En attendant il s’offre un petit repos sur le côté. Lorsque l’ouvrage est achevé, on le réveille et il ordonne à ce qui reste de son bataillon de monter à l’assaut du village par l’arrière. Il est déjà 4h et la lumière de l’aube s’esquisse à l’orient. L’unité de déploie, la « terrible panthère » bombarde les positions et oui les armements arrivés sur la ligne d’attaque ouvrent le feu. Le village est pris en quelques minutes. Le matin venu, des unités régulières prennent la relève du bataillon de commandos qui peut retourner à sa base pour se rétablir. C’est le dernier engagement au cour duquel Dayan participe directement en tant que combattant de la première ligne. Il aspirera toujours à atteindre les lignes avancées, mais à partir de maintenant son travail sera plus complexe et il devra envoyer à l’avant d’autres personnes. Ben Gourion ne veut pas attendre davantage. La trêve entre en vigueur le 23 juillet 1948 et il nomme Dayan au poste de commandement de Jérusalem.

Image