Commandant de Jérusalem

David Shaltiel, Commandant de Jérusalm et commandant de la brigade Etzioni

Les résultats militaires de Dayan à Jérusalem ne furent pas spectaculaires. Le secret de son aptitude au commandement militaire résidait dans son courage personnel et son rapport direct avec les combattants sous ses ordres. A présent il intervient et commande par l’intermédiaires de ses officiers. C’est dans la gestion des relations avec l’ennemi qu’il va se montrer particulièrement talentueux. Pendant cette période, il va se distinguer vraiment dans le domaine diplomatique.

Quand Dayan arrive à Jérusalem, la seconde trêve imposée par le Conseil de sécurité aux deux parties a déjà commencé. Par ailleurs à Jérusalem, deux accords ont déjà été signés entre le précédent commandant de la ville, le général David Shaltiel et les commandants jordaniens. L’un des accord concerne la situation de l’enclave du Mont Scopus où se situent l’université hébraïque et l’hôpital Hadassah, isolés de la partie de Jérusalem contrôlée par les juifs. Le 7 juillet il est conclu que toute la zone du Mont Scopus, y compris la partie sous domination jordanienne deviendra une zone démilitarisée sous la responsabilité de l’ONU et sous la surveillance d’observateurs.

Le 21 juillet, deux jours avant l’arrivée de Dayan dans la ville, un nouvel accord est conclu portant la signature du commandant arabe de Jérusalem, le colonel Abdallah El Tal. Cet accord fixe un cessez le feu général et le maintien du status-quo dans le no-man’s-land entre les lignes.

La porte Mandelbaum, principal passage entre Jérusalem est et Jérusalem Ouest en 1948

En dehors de quelques échanges de tirs et autres petites frictions intervenant quotidiennement le long des lignes, il n’y aura pendant la présence Moshé Dayan à Jérusalem en tant que commandant que deux véritables combats. Au début du mois d’août, des combattants irréguliers palestiniens violent l’accord de démilitarisation à propos de l’ancien palais du représentant britannique et transformé depuis en résidence pour l’ONU. En représailles, il est décidé d’occuper des positions sur la colline du Mauvais conseil où ce situe ce palais. La mission est confiée à l’un des bataillons de la brigade de Dayan. Il lui est interdit de s’en prendre au personnel de l’ONU ou de pénétrer sur le terrain de la résidence. A cause de cette restriction, les jordaniens se maintiennent sur le sommet de la colline et mettent en échec l’opération. Onze soldats sont tués, cinq sont fait prisonniers par les jordaniens et vingt sont blessés. Un prix très lourd pour un bilan nul. Des accusations réciproques sont échangées entre les officiers du bataillon et le commandant de la brigade. Dayan considère que l’échec s’explique par l’aptitude au combat des hommes du bataillon. De son côté le commandant du bataillon accuse Dayan d’avoir été absent du champ de bataille et qu’aux heures les plus critiques ils été impossible à localiser.

Le palais du représentant britannique puis de l’ONU – Armon HaNatsiv – La colline du mauvais conseil – Années 30

Le second combat intervient à l’initiative de Tsahal. En octobre, en même temps que l’opération Yoav dans le sud du pays contre l’armée égyptienne et en coordination avec une opération de débordement menée par la brigade Harel venant du sud-ouest et en direction de Bethléem, la brigade de Dayan obtient le feu vert pour conquérir les hauteurs de Beit Djala qui dominent Bethléem au nord-ouest. Dayan pilote l’opération de près. La première partie se déroule bien, la brigade se rend maitre des hauteurs de Waladja au nord de la voie ferrée reliant Tel-Aviv à Jérusalem. Mais l’offensive est freinée parce que la montée vers l’objectif suivant devient abrupte et l’unité de tête se heurte à une opposition. L’aube arrivant, le bataillon de tête reçoit l’ordre de revenir au nord de la voie ferrée. L’objectif principal n’a pas été atteint et l’opération est considérée comme un échec.

Ligne de démarcation en 1951. La tour de David et la vieille ville dans le fond. Sur le panneau : Danger ! Territoire ennemi devant toi.

La brigade de Jérusalem a été éprouvée au cours de durs combats depuis le début de la guerre en décembre 1947 et a enregistré de nombreuses pertes, morts et blessés. Lorsque Dayan en reçoit le commandement, la majorité de ses soldats sont des nouveaux immigrants, sans entrainement convenable et une partie d’entre eux ne parlent même pas l’hébreu. La brigade a essuyé de nombreux échecs et à son arrivée, Dayan mesure le piètre moral des commandants. Comme à son habitude, il insuffle à ses soldats un sentiment d’assurance, non seulement par ses paroles mais aussi par son exemple personnel. Entre deux accrochages la brigade est répartie le long d’une ligne qui partage la ville en deux. Les positions se situent dans des zones habitées ou dans des quartiers en partie détruits lors des combats. De nombreuses rues et places sont menacées par le feu ennemi et il faut emprunter des chemins de traverse compliqués pour atteindre le front. Dayan n’hésite pas à ramper dans des tunnels et à grimper sur des échelles afin de se montrer parmi les soldats des postes les plus avancés et pour se faire sa propre opinion de la situation.

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Folke Bernadotte

Folke Bernadotte

Dayan exécuta une action de manière décisive. Le 17 septembre 1948, le comte suédois Folke Bernadotte est assassiné. Il était le médiateur de l’ONU pour le conflit judéo-arabe. L’assassinat a été exécuté par un groupe d’activistes du Lé’hi. Il est alors décidé de mettre fin pour de bon à la situation d’indépendance.dont l’Irgun et le Lé’hi bénéficient à Jérusalem sous le prétexte que la ville n’a pas été déclarée comme faisant partie du territoire sous la souveraineté de l’Etat d’Israël. L’irgoun rend ses armes sans aucune résistance. Les soldats de Dayan encerclent efficacement les militants du Lé’hi et ils se rendent. Le contrôle de Dayan sur toutes les forces armées juives est maintenant total.

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La famille réunie à Jérusalem

Au premier plan l’hôtel King David et le YMCA. Au second plan à gauche le quartier de Talbyeh, au centre le quartier de Ré’haviah. Vue aérienne début années 1930.

Une fois nommé commandant de Jérusalem, Dayan décide d’y faire venir sa famille et de confier l’exploitation de le Nahalal à des ouvriers salariés. Ruth et ses trois enfants emménagent dans une splendide maison à l’entrée de Talbyeh, un quartier où résidait l’élite arabe de Jérusalem avant la guerre. La maison appartenait à Aboukrios Bey, un avocat arabe qui avait quitté la ville durant les combats. Elle avait été confisquée et était passée sous l’autorité du commandant de la ville et de plusieurs ministères du gouvernement. C’était l’une des maisons bâties dans les années 1930 dans le style Bauhaus et elle était considérée par beaucoup comme un palais. Le salon de la famille Dayan était en forme d’hémicycle dont les larges fenêtres permettaient d’observer le monastère Terra Santa situé en face. Il devient rapidement l’un des lieux recherchés de la société Hiérosolymite. On y rencontre des diplomates étrangers, des consuls représentants différents pays dans la ville saine et des officiers de l’ONU, ainsi que des journalistes étrangers et israéliens, des membres du gouvernement israélien et bien entendu l’élite juive de Jérusalem. Dayan se fait une place au centre de la vie politique et sociale d’Israël.

Le mode de vie de la famille Dayan est profondément modifié. Il va se passer un long moment avant que les enfants s’acclimatent à la vie dans une ville où il est dangereux de franchir ses limites. On leur interdit de roder dans les champs comme ils le voudraient mais ils sont polissons et ils partent souvent à l’aventure. le petit Assaf, encore à la maternelle, disparait un jour et on le retrouve errant dans le no-man’s-land à quelques mètres des lignes jordaniennes. Réouven Shiloa’h qui avait enrôlé Dayanpour mettre en place un réseau d’espionnage en 1942, s’agace que Ehoud ait ouvert le pionnier de son frère et que les colombes se soient envolées dans toutes les directions. Madame Kaplan, la femme du ministre des finances qui habite à l’étage supérieur de ce palais, se plaint à la police à cause d’un crâne humain qu’elle a trouvé dans son jardin. Il s’avère que les deux audacieux frères ont fondé un « groupe d’indiens », qu’ils ont trouvé un crâne humain dans le cimetière musulman proche de la frontière!re et qu’ils l’ont enterré dans le jardin de la femme du ministre.afin qu’il leur serve durant leurs cérémonies.

Ruth se souvient qu’à cette époque Moshé préférait rester à la maison en portant une grande attention à sa famille.Assez souvent il prenait avec lui l’un de ses enfants pour patrouiller sur la ligne de front où dans d’autres lieux de la vaille. Dayan admet dans ses mémoires qu’il évolue sensiblement : « J’étais souvent en réunions à discuter sur des formulations, en déjeuners, en cocktails. Je prenais du poids et mon nom apparaissait souvent dans des articles de journaux. En quelques mois ce n’est pas uniquement mon mode de vie qui se transforma mais aussi mon mode de pensée. »

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Premières négociations

Dayan et Abdallah El-Tal le 30 November 1948

Les principaux résultats de Dayan commandant de Jérusalem sont d’ordre diplomatiques. Cette activité le met en contact direct avec Ben Gourion et plusieurs ministres et l’implique dans la politique générale de l’Etat. Il commence par établir un lien solide avec le commandant jordanien de Jérusalem Abdallah El-Tal. Au fil des années se crée entre eux une confiance mutuelle. Leurs rencontrent se déroulent généralement entre les lignes au au nord de la ville, à proximité du passage Mandelbaum, l’unique sas entre les deux parties de la ville, sous le contrôle de l’ONU. Ruth accompagne souvent Dayan à ces réunions. Plus tard elle racontera : « Abdallah El-Tal était un homme agréable, grand, clair de peau, très amical. La seule chose qu’il refusait de faire était d’être photographie avec moi. Il craignait de se montrer trop amical aux yeux de ses hommes. » Au cours de l’une de leurs rencontres il lui dit : « C’est un plaisir de rencontrer un ennemi comme ton mari. »

Rapidement les deux décident de se passer des officiers de l’ONU et lors de l’une de leurs rencontres « entre trois yeux », le 28 novembre 1948, ils s’accordent sur un « cessez le feu sincère et absolu ». Les lignes de démarcation des forces sont dessinées sur des cartes et on fixe le programme des convois pour le Mont Scopus. Une fois toutes les deux semaines des convois montent vers le mont afin de relever les soldats de Tsahal en charge de la surveillance des installations de l’université et de l’hôpital. Afin de respecter l’apparence de démilitarisation du mont, les soldats portent des uniformes de policiers. Ces convois acheminent aussi le ravitaillement pour les hommes et les animaux du zoo biblique encore sur place. Deux fois par moi, il faut transporter à dos d’ânes la nourriture fraiche pour le lion, la lionne et le couple d’ours qui vivent dans ce zoo. Dayan et El-Tal mettent en place un téléphone rouge leur permettant d’entrer en contact direct afin d’éteindre tout départ de feu susceptible de porter atteinte à la situation fragile le long du front.

Les difficultés surviennent à de nombreuses reprises à propos du tracé exact des lignes de séparation. Dayan et El-Tal ont tracé ces lignes avec des crayons de couleur gras sur des cartes posées sur un sol encombrés de cailloux. De temps en temps le crayon passe sur un caillou et le trait recouvre une ruelle entière ou une rangée de maisons proches du no-man’s-land. Aussitôt des disputes éclatent entre les soldats des deux camps. Une partie de ces disputent sont réglées par le téléphone rouge mais les autres resteront en suspens jusqu’à la guerre de 1967.

La route de Birmanie (pointillés rouges) aménagée par Tsahal pour contourner la zone de Latroum aux mains des jordaniens. Pointillés bleus : positions israéliennes et pointillés marrons : positions jordaniennes à la fin des combats le 19 juillet

La confiance réciproque entre Dayan et El-Tal vient en partie de l’accord des jordaniens de renvoyer en Israël les 670 israéliens et retenus depuis de longs mois dans des camps de prisonniers dans l’est de la Jordanie. Tsahal n’avait fait qu’une douzaine de prisonniers jordaniens mais Abdallah El-Tal, estimant que la guerre israélo-jordanienne est terminée, accepte l’échange de prisonniers avant que l’accord de cessez le feu entre les deux pays ne soient officiellement signé. Cet accord de « cessez le feu sincère et absolu » représente une tentative de résoudre le problème existant entre les deux parties. Les rencontres deviennent vraiment officielles. Reouven Shiloa’h, du ministère des affaires étrangères, accompagne Dayan. Les deux parties s’accordent pour mener des négociations sur des échanges de territoires afin de créer un corridor libre pour les arabes circulant entre Bethléem et Jérusalem et pour les juifs un corridor à Latroum sur la route Tel-Aviv – Jérusalem, et un accès libre au mur occidental. Comme il est d’usage, on échange des propositions d’accord officiels rédigés par des juristes, en hebreu, en arabe et en anglais. Cependant les désaccords restent profonds et Ben Gourion préfère  entamer de vrais pourparlers de paix.

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Guerre ou paix

Comme tous les officiers supérieurs israéliens, Moshé Dayan pense que Tsahal est suffisamment forte pour achever la conquête de toute la Palestine et rejeter la légion arabe au-delà de la rive occidentale du Jourdain. Cependant il accepte l’approche de Ben Gourion qu’il convient à ce stade de se contenter de ce que Israël a déjà conquis et de ne pas poursuivre la guerre. Au cours des délibérations qui se déroulent dans le bureau du premier ministre le 18 décembre 1948 au sujet des négociations avec les jordaniens, Ben Guorion explique : « Le principal objectif actuel est la paix. Ne cédons pas à l’ivresse de la victoire. L’immigration impose l’arrêt des hostilités. Notre avenir exige la paix et l’amitié avec les arabes. »

5 janvier à Rafia’h pendant l’opération ‘Horev. De gauche à droite : Itzhak Rabin, Amos Horev, Ygal Allon, Avraham Negev

Le commandant du front sud, Ygal Allon, s’apprête à achever avec succès l’opération ‘Horev visant à déloger les égyptiens de leurs points d’appui dans le Néguev. Sa gloire comme commandant le plus victorieux de Tsahal dans sa guerre contre les arabes le précède. Allon est identifié avec le parti uni des travailleurs qui exige l’achèvement de la conquête de toute la Palestine. Il a adressé une lettre émouvante à Ben Gourion dans laquelle il insiste pour que Tsahal soit autorisée à attaquer la légion pour l’expulser du pays et positionner la frontière de l’Etat le long du Jourdain, une ligne qui fournirait de nombreux avantages stratégiques à Tsahal.

Tout autant qu’Ygal Allon, Dayan est titillé par cette aspiration à la conquête par Tsahal de ce pays qu’il a parcouru lorsqu’il avait 18 ans. Mais sa loyauté envers Ben Gourion et sa foi inébranlable dans son intelligence et dans son leadership l’empêche de prendre part à ce groupe belliqueux. C’est dans cet esprit qu’il entreprend les démarches dont l’objectif est d’arriver à un accord de paix avec le roi hachémite, bien qu’à ce stade les jordaniens présentent des revendications inacceptables. Abdallah El-Tal l’informe que le roi exige l’ouverture dans le Néguev d’un corridor le reliant à l’Egypte, le transfert des quartiers sud de Jérusalem aux arabes et le retour des réfugiés dans les villes de Ramaleh et de Lod.

Ben Gourion repousse totalement ces exigences bien qu’il soit impatient de mettre fin à l’état de guerre pour se focaliser sur la construction du pays et en particulier sur l’intégration la masse des immigrants qui se pressent aux portes du pays. Il s’avère rapidement que les pourparlers avec Abdullah El-Tal conduisent à une impasse et le roi invite les représentants israéliens à le rencontrer directement à son palais d’hiver dans la ville de Shouné située à l’est du Jourdain.

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Abdallah de Transjordanie

Abdallah 1er

La première rencontre avec le roi Abdallah a lieu le 16 janvier 1949. Moshé Dayan et Eliyahou Sasson, expert des affaires arabes du ministère des affaires étrangères, représentent Israël. Cela fait déjà plus d’une semaine que les combats ont cessé dans le sud et les négociations en vue d’un armistice entre Israël et l’Egypte vont bientôt s’ouvrir à l’hôtel des roses sur l’ile grecque de Rhodes. Au cours des discussions avec le roi l’ordre du jour inclut les questions touchant Jérusalem, mais aussi la rive occidentale du Jourdain (Cisjordanie).

A la fin de la guerre, le corps expéditionnaire irakien décide de repartir en Irak. Israël refuse d’autoriser l’armée jordanienne à occuper les positions irakiennes dans le nord de la Cisjordanie, avant qu’un certain nombre de conditions ne soient remplies, et en premier lieu une modification du tracé de la frontière sur les pentes occidentales des monts de Samarie. Ce qui signifiait l’annexion de territoires incluant des bourgades arabes au centre du pays et dans le Wadi Ara (la rivière Iron), là ou passait la voie maritime reliant la plaine cotière et la Galilée, en passant par la forteresse de Méggido, lieu d’affrontements armés pendant des milliers d’années.

Les rencontres avec le roi se déroulaient selon la plus parfaite tradition bédouine. Un riche repas le soir, avant lequel il fallait laisser gagner le roi à une partie d’échecs et écouter des poèmes qu’il avait composés. Même pendant les discussions, le roi assaisonnait ses propos avec force de paraboles et d’épigrammes. Son premier ministre Tawfik Abu al-Huda participe à la rencontre qui se déroule deux semaines plus tard. Il est clair que le roi a besoin de l’appui de son gouvernement et qu’il ne peut pas décider seul à propos de sujets aussi importants. De toute façon il s’avère que le prudent roi préfère mener d’abord des discussions sur un accord d’armistice et seulement ensuite entamer des négociations de paix.

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Rhodes

Ralph Bunche obtint en 1950 le prix Nobel de la Paix pour son rôle dans les négociations israélo-arabes de 1949.

Au début du mois de mars 1949 débutent des discussions officielles entre une délégation jordanienne et une délégation israélienne à l’hôtel des roses, là même où vient d’être signé l’accord d’armistice avec l’Egypte. Là aussi, Reouven Shiloa’h et Moshé Dayan représentent Israël. A la tête de la délégation jordanienne se trouve l’officier le plus haut gradé de la légion arabe, le colonel Ahmed Tsadki El-Djundi. Les pourparlers sont dirigés par Ralph Bunche qui a remplacé le comte Bernadotte en tant que médiateur de l’ONU. Afin de surmonter les divergences d’opinion le médiateur entreprend de trouver des formulations suffisamment vagues que chaque camp peut interpréter à sa manière. Il croit que lorsque l’armistice sera consolidé et que les deux parties se seront habituées à cette nouvelle situation, on trouvera aussi des solutions aux questions en suspens. En fait il se trompe et ces paragraphes brumeux seront le foyer de conflits sans fin.

La délégation israélienne à Rhodes le 3 janvier 1949. De gauche à droite : Yehoshafat Harkabi, Aryeh Simon, Yigael Yadin et Its’hak Rabin

Dayan profite du paysage, des antiquités de Rhodes et des papillons qui abondent à l’approche du printemps dans la célèbre vallée. Mais il s’impatiente parce que les délégués jordaniens n’ont aucune capacité à décider par eux-mêmes. En Israël Tsahal se prépare pour l’opération visant à occuper la bande de territoire réclamée à l’ouest de la Samarie. Cette opération est préparée dans l’hypothèse d’une tentative par les jordaniens d’occuper le nord de la Cisjordanie dans avoir obtenu l’autorisation du gouvernement israélien. Afin d’accélérer le processus et d’éviter une crise, Dayan s’envole pour Jérusalem. Lors de sa rencontre avec le roi, Dayan lui présente poliment et cordialement les revendications d’Israël mais il refuse de marchander. Ce n’est qu’à la rencontre suivante, alors que le roi est entouré de plusieurs ministres du gouvernement, que le front du refus se fissure. Cette fois-ci Dayan est accompagné du chef des opérations de Tsahal, Ygael Yadin et Yehoshafat Harkabi, membre éminent des renseignements. Dayan dit au roi :

Voici trois membres de l’armée israélienne qui perdu un frère au cours d’une guerre que nous n’avons pas voulu et qui a été déclenchée par les états arabes, dont la Jordanie qui nous a attaqués. Il eut été préférable de parler de concessions et de compromis avant la guerre afin de l’éviter. Maintenant il faut en supporter les conséquences et y mettre fin.

La délégation israélienne en partance pour Rhodes

A la fin de la discussion, le roi fait apporter un bouquet de roses, en donne à chacun des israéliens et leur déclare : « Cette nuit la guerre est terminée et nous apportons la paix. » Le lendemain, Dayan revient à Rhodes avec une seule option : la signature d’un accord. Les discussions avec le roi se poursuivront encore pendant deux ans, et seront interrompues sans aucun résultat, jusqu’en juillet 1951 quand le roi est assassiné par un nationaliste palestinien à sa sortie de la mosquée El-Aksa sur le mont du Temple à Jérusalem.

Asaf Simshoni et Haïm Herzog traçant la ligne d’armistice avec un officier jordanien

Exploitant l’atmosphère positive du début créée par le roi dans les relations entre la Jordanie et Israël, Dayan parvient à conclure un accord sur un modeste échange de territoires qui permet à Israël d’étendre sa souveraineté sans discontinuité sur toute la voie ferrée jusqu’à Jérusalem. Il s’en suit que le village arabe de Beit Tsafafa situé sur les pentes sud-ouest de Jérusalem est coupé en deux. Ses habitants s’opposent à cette situation et un incident armé éclate au cours duquel un soldat israélien est tué. Dayan transmet un message cinglant au roi et celui-ci envoie des officiers de confiance pour délimiter et marquer avec des soldats de Dayan la nouvelle frontière. Le village restera divisé entre Israël et la Jordanie jusqu’à la conquête de sa partie orientale au cours de la guerre des six jours. L’accord sur la voie ferrée est considéré comme une réalisation  importants qui est portée au crédit de Moshé Dayan. Ben Gourion ne tarit pas d’éloges à son encontre. Dayan est à présent reconnu et particulièrement estimé par le Premier ministre et ministre de la défense. Il est promis à des responsabilités encore plus importantes.

 

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Fin des hostilités ?

Moshé Sharett et ‘Haïm Weizmann en 1949

De tous les officiers supérieurs de Tsahal, Dayan est à présent devenu le spécialiste numéro un des questions liées aux accords d’armistice. Le 9 juin 1949, il est nommé « délégué aux affaires liées à l’armistice ». Il commande les officiers israéliens affectés aux quatre comités mixtes israélo-arabes. Ces comités sont pilotés par quatre officiers de l’ONU, un pour chaque front : Egypte, Jordanie, Syrie et Liban. Dans le cadre de ses fonctions, Dayan reste en lien étroit avec les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères, à commencer par le ministre lui-même, Moshé Sharett en charge des échanges diplomatiques avec les USA et l’ONU.

Moshé Dayan en négociation d’armistice avec les égyptiens

L’accord d’armistice avec la Jordanie inclut un paragraphe selon lequel Israël bénéficiera d’un accès libre au Mont Scopus et au mur occidental mais cet disposition ne sera jamais respectée par les jordaniens. Début août Dayan recommande à Ben Gourion d’agir par la force et de conquérir le quartier de Sheikh Jarrah qui verrouille la route vers le Mont Scopus, de prendre Latroum et de forcer un passage jusqu’au mur occidental. C’est la première divergence d’opinion qui se manifeste entre ben Gourion et Dayan et ce ne sera pas la dernière. Ben Gourion rejette totalement la proposition de Dayan. Il craint une reprise de la guerre et l’immigration massive des rescapés de la Shoah et des juifs des pays musulmans est à son paroxysme. La majorité des zones conquises étaient à présent désertes après que leurs habitants palestiniens aient été déplacés. Ben Gourion veut se consacrer à l’intégration des immigrants, à l’effort d’installation sur les terres abandonnées et à la crise économique qui menace de détruire tout ce qui a déjà été accompli. De son point de vue la page de la guerre est tournée. Dayan accepte la décision.

Durant cette période, Dayan est amené à défendre des positions belliqueuses lors de plusieurs débats qui se tiennent au sommet de l’Etat. Lors d’une réunion d’ambassadeurs et de délégués organisés par Moshé Sharett au ministère des affaires étrangères en juillet 1950, Dayan suscite la stupeur des participants. Dans le protocole il est écrit :

Dayan est d’avis que la première phase du processus de création d’Israël comme état indépendant n’est pas encore achevée, étant donné que nous n’avons toujours pas décidé si le territoire dans ses limites actuelles, représente son extension définitive. L’Etat doit déterminé si ses frontières actuelles nous suffisent et si elles resteront telle quelles à l’avenir. Il estime que notre époque est encore propice à des changements.

Moshé Dayan signe l’accord d’armistice avec l’Egypte le 24 février 1949

Dayan n’interprète pas les résultats de la guerre d’indépendance comme une sentence absolue et il n’abandonne pas ses aspirations à terminer le travail. De nombreux historiens utilisent ces paroles comme une preuve que Dayan aspire à la conquête de la Cisjordanie et à repousser la frontière d’Israël jusqu’au Jourdain. Dans les années 50 il est souvent arrivé que l’on pousse des propositions de conquêtes de la rive occidentale, mais elles ne furent jamais exécutées par crainte pour le sort de la garnison israélienne sur le Mont Scopus ou pour la survie du pouvoir hachémite et l’arrivée d’éléments hostiles dans la région. Finalement, Dayan accepte la politique de Ben Gourion de considérer le maintien des jordaniens en Cisjordanie comme la moins mauvaise des alternatives. Et quand il proposera une opération visant à modifier les frontières de l’Etat, cela concernera plutôt le front égyptien.

Huit années plus tard, quand Dayan met un terme à sa carrière militaire, David Ben Gourion lui adressera un courrier enthousiaste dans lequel il rappellera ses succès l’un après l’autre. A propos de son action à Jérusalem il écrira : « Tu as non seulement fait preuve d’une aptitude militaire de premier ordre mais aussi d’un intelligence politique et d’un sens de l’Etat hors du commun. Tu as démontré tes talents de diplomate au cours des négociations de l’armistice que tu as menées avec les représentants du roi Abdallah à Rhodes. »

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Commandant du front sud

Le 9 octobre 1949, Moshé Dayan est nommé commandant du front sud avec le grade de Général.Cette nomination intervient alors que le général en poste, Ygal Allon séjourne à l’étranger et sans aucune concertation ou information préalables. Les hommes d’Ygal Allon voient dans la façon avec laquelle Dayan parvient à ce poste une forme de destitution et d’affront, et de nombreux officiers du l’État major sud qui avaient servi sous le commandement d’Allon au cours de la guerre d’indépendance s’en vont en protestant. Mais Dayan n’en a cure et nomme rapidement leurs remplaçants.

L’environnement aride du Néguev impressionne Dayan. Les paysages septentrionales auxquels il est habitué depuis son enfance lui apparaissent comme un parterre de fleurs moelleux en comparaison de ce vaste désert dégagé, brulant, sec et qui dégage tant de puissance. Comme à son habitude il parcourt fréquemment la région à bord de sa jeep. Là aussi il veut réparer les conséquences de la guerre. Il rencontre des officiers de la légion arabe qu’il connaît depuis les négociations à Rhodes ou à Jérusalem. Il met fin à des disputes qui éclatent le long de la longue frontière qui part des pentes des collines d’hebron jusqu’à l’Arava, et de la Mer morte jusqu’à Eilat.

Premier vol civil vers Eilat le 8 février 1950

À une occasion, la dispute aboutit à un échange de tirs. Juste après la conquête d’Eilat, Tsahal avait aménagé une route le long de l’areva. Les jordaniens affirment qu’au kilomètre 78, cette route pénètre dans leur territoire et ils obstrue avec des pierres et des barrières. Une unité jordanienne est postée pour surveiller le barrage. Dayan arrive rapidement et à bord d’un petit avion il inspecte la zone. A sa demande l’avion descend si bas qu’il heurte sans dommage le sol avant de rebondir vers le haut. Dayan envoie un avertissement aux jordaniens par lequel il exige d’eux qu’ils évacuent la zone mais il reçoit une réponse négative. Il réagit en ordonnant à un bataillon de blindés de se placer en état d’alerte et prêt à attaquer la route. Quand les jordaniens ouvrent le feu, il ordonne de les bombarder à coups de mortiers et de les déloger de la position. Quelques jours plus tard des inspecteurs de l’ONU jugent que les affirmations des jordaniens sont justifiées. Dayan ordonne l’évacuation de la route et d’aménager une voie de contournement.

L’incident s’est déroulé sans faire de victime mais il met en lumière deux qualités que l’on observera fréquemment par la suite : d’une part réagir de manière énergique, rapide et déterminée chaque fois qu’il lui semblera que l’on porte atteinte aux intérêts d’Israël, et d’autre part savoir changer d’avis et réparer une erreur commise.

A la fin de l’année 1950, on apprend que l’Arabie Saoudite a cédé provisoirement à l’Egypte Tiran et Snapir, deux iles situées à l’entrée du golfe d’Aqaba.Les égyptiens déclarent leur intention de bloquer la navigation des navires israéliens à partir d’Eilat. Dayan propose à l’État major de préparer une riposte militaire dans l’hypothèse où les égyptiens mettraient leur menace à exécution, bien qu’à cette époque cette affaire n’avait aucune consistance car à cette époque, à Eilat, il n’y a pas de port, ni même de rade temporaire et aucun navire ne s’apprête à prendre la mer vers Tiran. En conséquence de quoi, les égyptiens ne tentent même pas d’exécuter leur menace. De toute façon le chef d’État major informe Dayan que le gouvernement a décider de commencer par une approche diplomatique. Sept ans plus tard, cette affaire sera l’une des causes du déclenchement de la seconde guerre de l’histoire d’Israël et elle occupera alors toute l’attention de Dayan devenu le chef d’État major. Pour l’heure il ne s’agit que de signes avant coureurs d’une tempête à venir.

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Premières infiltrations

Une autre affaire fut plus embarrassante. Près des côtes de la Méditerranée, à 15 km au nord de la bande de Gaza qui était restée aux mains de l’armée égyptienne, se situe la petite ville arabe de Majdal, conquise par Tsahal en novembre 1948. La majorité de ses habitants avaient fui vers la bande de Gaza mais il demeure encore près de 2.000 arabes dans la ville. Cette petite communauté palestinienne est isolée et éloignée de toute autre localité arabe d’Israël. Beaucoup d’habitants sont sans travail. De plus, de nombreux réfugiés résidant à Gaza s’infiltrent dans la ville pour rendre visite à leurs proches.Il arrive fréquemment qu’ils ne repartent pas et qu’ils s’installent définitivement sur place. Ces liens entre Majdal et la bande de Gaza deviennent dangereux car en plus des visiteurs pacifiques, s’infiltrent aussi des agents des services de renseignements égyptiens et des éléments violents qui commencent à s’en prendre aux habitants juifs de la région.

Dayan décide de déplacer les palestiniens de la ville et il leur propose de partir pour d’autres localités arabes au coeur de l’État d’Israël. Une partie des habitants accepte mais la majorité veut rejoindre ses proches dans les camps de réfugiés proches de Gaza. Par contre il ne leur est pas donné la possibilité de rester à Majdal. Le 14 octobre 1950, en coordination avec l’armée égyptienne, on les accompagne puisqu’a la frontière où les attendent des véhicules égyptiens. À la place de la ville arabe de Majdal vidée de ses habitants, on fonde un peu plus proche de la mer et à côté des ruines de la ville hellénistique, la ville d’Ashkelon,

Le kibboutz Gvoulot dans les années 50, situé à quelques km de la bande de Gaza

Les infiltrations de réfugiés de la bande de Gaza et des monts d’Hébron furent un problème constant qui mobilisèrent Dayan à de nombreuses reprises en tant que commandant du front sud. Au début il ne s’agit que de réfugiés qui campaient souvent dans le voisinage des villages dont ils avaient été éloignés pendant la guerre et qui y reviennent la nuit afin de cueillir les fruits qu’ils font murir ou récolter les céréales qu’ils ont plantées au début de l’hivers. Ils veulent aussi récupérer des affaires laissées pendant leur fuite précipitée par crainte des combats. Quand des juifs commencent à fonder des localités à proximité de ces villages, les infiltrés mettent la mains sur des biens de juifs et volent tout ce qu’ils peuvent : tuyaux d’irrigation, matériaux de construction, petit et gros bétail, et jusqu’à des moteurs, des appareils électriques. Ici et là, certains commencent à tuer des juifs qu’ils rencontrent par hasard sur leur chemin.

Dans les années 1949-1951, ce phénomène en est encore à ses débuts mais il va croître dans les années à venir. Dayan comme d’autres généraux, est enclin à prendre des mesures défensives comme la préparation des nouvelles localité à la défense, la construction de clôtures, la pose de mines et même l’organisation d’embuscades sur les trajets empruntés par les infiltrés. Quand Dayan aura atteint le sommet de la hiérarchie militaire, ce problème sera au coeur de ses activités et il prendre alors des mesures nettement plus offensives.

Le cas des bédouins est totalement différent. Au cours de ces années les tribus bédouines vivant dans le Neguev poursuivent leur mode de vie de bergers nomades. Ils dressent leurs tentes en poil noir de dromadaire dans les pâturages qu’ils trouvent pour leurs moutons et leurs chèvres. Quelqu’uns finissent par s’établir de façon permanente. Certains se consacrent à la contrebande de marchandises entre l’Egypte et la Jordanie. Dayan connait l’esprit des bédouins depuis son adolescence et il est enclin à les laisser poursuivre leurs activités qui sont les mêmes depuis la nuit des temps. Il explique que ce que les grands empires n’ont pas réussi à empêcher, Israël n’a aucune chance de le stopper. Il apprécie d’être invité dans leurs tentes pour un verre de café amer autours de ses déplacements à travers le Neguev.

Cependant les tribus nomades qui circulent entre les deux côtés de la frontière avec l’Egypte engendrent assez souvent des problèmes de sécurité. Elles sont pour la plupart hostiles à l’État d’Israël et peu enclines à reconnaitre sa souveraineté. Elles collaborent même avec les renseignements égyptiens et il leur arrive de participer à des pillages et à des meurtres. Du point de vue israélien, les membres d’Ezazma, l’une des tribus les plus importantes de la presque Ile du Sinaï, deviennent insupportables. La zone définie par les accords d’armistice comme démilitarisée, proche des ruines de l’antique ville nabatéenne de Nitzana, vraiment sur la frontière et au bord de la route traversant le Sinaï en direction du canal de Suez, est particulièrement sensible. Ce problème va l’importuner aussi dans le cadre de ses prochaines fonctions.

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