Traduction personnelle et donc très imparfaite de l’article paru dans le Yédioth A’haronoth le 15 janvier 2021 (https://www.ynet.co.il/economy/article/HJGJTpuRD), suite à l’invasion du Capitole à Washington.
L’accord sur les réparations allemandes fut signé en 1952 au plus fort d’une tempête générale contre lui, sept années seulement après l’effondrement du régime nazi. Au cours du terrible débat qui eut lieu à la Knesset, Begin s’écria : Allons-nous pour quelques millions de marks impurs nous priver du peu de respect que nous avons acquis ? » Puis la foule envahit la Knesset. Malgré les émeutes, La pénurie de devises et la politique d’austérité firent pencher la balance.
« Toute ma famille a été assassinée et on veut à présent donner un peu d’argent à l’État juif pour que nous nous taisions ? Je suis aujourd’hui seul au monde. Est-ce que quelques marks allemands vont me rendre heureux ? » Ce sont des exemples de propos tenus par des manifestants en colère, qui tentèrent avec le peu de force morale qui leur restait de contrecarrer un programme économique, particulièrement controversé en Israël : les réparations allemandes.
À l’heure où, la nécessité d’augmenter les montants d’aide offerts par le gouvernement israélien aux indépendants et aux salariés à cause de la crise du Covid Corona est discutée ici chaque jour, les événements turbulents du début des années 1950 illustrent à quel point l’argent ne compense pas toujours tout. Sept ans après l’effondrement du régime nazi, l’opposition aux indemnisations allemandes de plusieurs milliards de marks versées à l’État juif a traversé les partis et les communautés.
L’accord sur les réparations allemandes entre Israël et l’Allemagne, baptisé « accord pour la réparation de l’injustice » est signé par le ministre des affaires étrangères Moshé Sharet et le chancelier allemand Konrad Adenauer le 10 septembre 1952 au Luxembourg. Aux termes de cet accord, l’Allemagne versa à Israël, de 1953 à 1965, la somme considérable pour l’époque de trois milliards de marks, comme « réparation pour les tords subits par l’État d’Israël obligé d’accueillir sans aide un grand nombre de réfugiés juifs arrachés à leur terre et dépossédés de tout lors de la Shoah par la faute des nazis ».
L’accord entra en vigueur six mois plus tard, le 27 mars 1953, suite à un échange de lettres entre les deux gouvernements, au siège de l’ONU à New-York. Dans le même temps un accord de réparations fut signé avec des organisations juives qui reçurent des centaines de millions de marks au nom du peuple juif. Cet accord d’indemnisation n’était pas supposé annuler ou limiter les droits des citoyens israéliens de percevoir une compensation directement du gouvernement allemand pour les graves dommages qui leur avaient été causés, et qui était appelée « pensions pour les survivants de la Shoah ».
Aux temps de l’austérité
Certains pensent que ce n’est qu’à partir de 1951 que commença le débat sur la question de l’indemnisation que les habitants d’Israël recevraient de l’Allemagne pour le meurtre de six millions de juifs et les souffrances subies par plusieurs millions d’autres à cause des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, la « Shoah ». En réalité la question des réparations allemandes s’invite à l’ordre du jour du gouvernement israélien dès le mois de mars de l’année 1949. Le ministre des finances, Eliezer Kaplan fut celui qui présenta au gouvernement, moins d’un après la création de l’État d’Israël, le dossier que lui avait préparé un comité juif constitué pour traiter la question des biens juifs spoliés pendant la Shoah.
Se posa alors la question de savoir s’il serait possible de gérer l’argent des compensations que les particuliers recevraient des Allemands et de le transférer en Israël sous la forme de marchandises achetées en Allemagne. « Jusqu’à aujourd’hui, nous nous opposons à l’importation de marchandises venues d’Allemagne, et nous permettons uniquement aux immigrants de transférer leurs capitaux en marchandises d’Allemagne », expliquait Kaplan à l’époque.
En février 1950, le gouvernement décida d’ouvrir des négociations directes avec l’Allemagne de l’Ouest au sujet des réparations individuelles, les pensions. La proposition de s’adresser à l’Allemagne était la conséquence de la situation économique très difficile que connaissait le pays à cette époque : le manque de devises étrangères et la politique d’austérité. Il est alors proposé d’utiliser l’argent allemand pour faire face à cette situation très difficile.
Mais le gouvernement repoussa par deux fois cette proposition, en décembre 1950 puis en janvier 1951. Enfin, le 6 janvier 1951, le gouvernement décida de ne pas entrer directement en contact avec l’Allemagne et de se tourner vers les quatre puissances alliées. L’intention était d’éviter une situation de « réparations pour des meurtres », et l’argument était que le jeune État d’Israël avait besoin de l’aide financière pour absorber les réfugiés. Mais les réponses des quatre puissances alliées furent totalement creuses. D’ailleurs la Russie de répondit même pas. Alors, David Ben Gourion n’eut plus d’autre alternatives, que celle d’entamer dans le plus grand secret, des pourparlers directs avec les allemands.
Il n’en sortira rien
Au mois d’Avril 1951, David Horowitz, directeur du ministère des finances et futur président de la banque d’Israël, rencontra secrètement le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest, Konrad Adenauer. Ce fut une rencontre historique : le chancelier allemand accepta d’indemniser le peuple juif et de déclarer que « l’Allemagne assumait l’entière responsabilité des crimes des nazis contre le peuple juif. »
Le 27 septembre 1951, lors d’une séance du Bundestag réuni à Bonne, Adenauer déclara que le temps était venu de voter une résolution permettant à l’Allemagne d’indemniser l’État d’Israël. Il est particulièrement intéressant de constater que presque toute la presse du jeune État d’Israël se prononça contre les réparations. On put y lire des articles et des éditoriaux de personnalités, comme ceux du rédacteur en chef de l’époque du Yedioth A’haronoth, également l’un des signataires de la déclaration d’indépendance, le Dr Herzl Rosenblum.
Au début, les discussions avec l’Allemagne furent secrètes, et contrairement à ce que nous pratiquons aujourd’hui – elles ne furent pas divulguées à la presse, du moins pas en temps réel. Lorsque les premiers contacts furent connus, les journaux choisirent d’en minorer l’importance, au motif qu’ «il n’en sortirait rien », comme l’affirmaient certains politiciens. Par exemple, la déclaration du 27 septembre d’Adenauer ne bénéficia pas de la une de la presse.
Lutte sévère entre les partis
Cependant, la question commença à prendre forme et la presse, qui avait pris parti contre les réparations, comprit qu’elle était sur le point de bouleverser le pays et de s’accompagner d’une vive polémique ainsi que de manifestations. Ainsi, le 4 janvier 1952, le Yedioth A’hronoth donnait dans son titre une estimation du montant des paiements, 300 millions, qui devait s’avérer était très éloignée de celui atteint à l’issue des négociations entre Israël et l’Allemagne.
Dans les jours qui suivirent, l’agitation s’accrut et les manifestations rues commencèrent. Le 6 janvier 1952, un jour avant le début d’un débat marathon à la Knesset, le titre de Yedioth Ahronoth annonçait : « 24 heures avant le débat fatidique à la Knesset – l’opposition aux négociations avec l’Allemagne grandit ». Le 7 janvier 1952, au cours d’un débat parmi les plus houleux qu’ait connus la Knesseth, Mena’hem Begin prononça l’un de ses plus fameux discours au cours duquel, d’après certains témoins, des larmes lui auraient coulées des yeux : « Les Goïm nous ont non seulement détestés, mais aussi assassinés, brûlés, enviés, méprisés. Et devant à cette génération que nous appelons la dernière à être asservie et la première à être rachetée, cette génération qui a recouvré une position honorable, qui a abandonné la servitude pour la liberté, vous vous présentez pour quelques millions de marks impurs, pour des marchandises impures, pour nous privez du peu respect que nous avons acquis ? »
Et d’une voix suppliante, inhabituelle, excité et agité, Begin se tourna vers « son ennemi », comme David Ben-Gourion le surnommait lui-même : « Je me tourne vers vous en ce moment fatidique en tant que juif à un juif, en tant que fils d’un peuple orphelin, en tant que fils d’un peuple endeuillé : arrêtez, ne faites pas cela ! Ce serait l’abomination des abominations en Israël. Je ne pense pas qu’il soit possible de voter sur cette question. Le vote a déjà eu lieu – à Treblinka, à Auschwitz. Là, les Juifs ont voté par leurs souffrances mortelles. N’entamez pas des contacts ni des négociations avec les Allemands. »
Le même jour, Begin appela pour la première fois en Israël à organiser une révolte fiscale et même un soulèvement civil, « même si les manifestants sont emmenés dans des salles de torture et de nouveau dans des camps de concentration et même s’ils paient de leur vie ». Ce discours incita la foule à se lancer à l’assaut de la Knesset protégée par des centaines de policiers.
La police avait dressé de nombreuses barrières. Malgré les tentatives de bloquer les manifestants avec des gaz lacrymogènes et des matraques, ceux-ci réussirent à atteindre les portes de la Knesset et à jeter des pierres dans la salle plénière. Une centaine de policiers furent blessée. Le député ‘Hanan Rubin fut blessé à la tête par une pierre et une douzaine de députés furent atteints par des éclats de verre tombés des fenêtres brisées. « Un champ de bataille », titra la presse le lendemain. Suite à ces incidents Begin fut démis de ses fonctions à la Knesset pendant plusieurs mois.
Les jours suivants, le sujet des réparations fit la une des media. Dans le Yédioth Ha’haronot : « 200 blessés, 400 arrestations lors des manifestations. Les interpellés ont été envoyés à Shaar Ha’amaquim et à Beit-Shéan. La police se prépare à une manifestation de la gauche aujourd’hui. » (8 janvier) « Une majorité pour une décision en faveur des réparations » (9 janvier). « Discussion de fond sur les réparations, la semaine prochaine » (10 janvier). « Le parlement de Bonn débattra des réparations ce mois-ci « (11 janvier).
Au mois de mars 1952, débutèrent les négociations en vue d’un accord sur les réparations dans une petite ville proche de La Haye aux Pays-bas. La proposition était détaillée et claire : L’État d’Israël recevrait trois milliards de marks allemands sous la forme de marchandises et de services fournis par l’Allemagne de l’Ouest. 450 millions de marks seraient versés à la « Claims Conference » chargée de centraliser les réclamations matérielles contre l’Allemagne. Tous ceux qui avaient été persécutés par le Reich allemand à partir du 1er janvier 1938 seraient indemnisés, y compris pour la privation de liberté.
Une clause intéressante figurait dans cet accord : l’État d’Israël s’engageait à payer à l’Allemagne 54 millions de marks pour l’expropriation des Templiers, une secte allemande qui s’était installée en Palestine à la fin du XIXe siècle et dont les membres avaient été expulsés par les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’accord définissait le calendrier des versements : 200 millions la première année puis 310 millions chaque année suivante et enfin 260 millions pour la dixième année. L’accord fut signé le 10 septembre 1952 au Luxembourg, après six mois de négociations marathon. Konrad Adenauer le signa au nom de l’Allemagne et Moshé Sharett, ministre des affaires étrangères d’Israël le signa au nom de l’État d’Israël. L’accord fut ratifié par une faible majorité au Bundestag à Bonn le 18 mars 1953.
Le 2 septembre, le Yédioth A’haronot titra : « Le ministre allemand des Finances se plaint du fardeau des réparations. » Ce titre en agaça beaucoup. Ya’acov Tsouker, rescapé de la Shoah, qui était passé par quatre camps, s’adressant le même jour à la Knesset, sortit de son portefeuille quelques billets qui s’y trouvaient, les jeta à terre et s’écria : « Adenauer, c’est pour vous ! Vous avez tué toute ma famille, mais vous vous plaignez que vous avez du mal avec les réparations. Alors je vous accorde un prêt. Vous n’aurez pas à le rembourser, car vous ne pourrez pas ramener papa et maman. »
Le 14 septembre, le Yédioth A’haronot titra : « Aucune perspective de réparation du côté de l’Allemagne de l’Est. ». Une question qui occupera le pays pendant encore 40 ans. Après la chute du mur, en 1991, la demande d’indemnisation par l’ancienne Allemagne de l’Est, refit surface. Après l’unification de l’Allemagne, le gouvernement allemand accepta de verser une indemnisation unique de 5000 marks à 522 000 survivants de la Shoah et un paiement mensuel fixe de 500 marks à 50 000 autres survivants considérés comme étant dans une situation particulièrement difficile.
Aujourd’hui, 192 000 survivants de la Shoah vivent en Israël. Beaucoup d’entre eux ne reçoivent qu’une faible compensation pour les atrocités qu’ils ont subies sous le régime nazi.